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III

La description qu’on vient de lire de la villa d’Hadrien explique qu’elle ait été quelquefois sévèrement jugée. Il est sûr que rien ne ressemble moins à une maison de campagne comme nous les entendons aujourd’hui. Ce luxe de bâtimens, cet entassement d’édifices, ce stade, ces théâtres, ce Lycée, cette Académie, déroutent nos habitudes. Il n’y a rien là de rustique, rien qui sente les champs : tout paraît fardé, mondain, apprêté. Peut-être faudrait-il en conclure simplement que les Romains comprenaient les plaisirs de la campagne autrement que nous ; mais on va plus loin, on affirme d’un ton résolu qu’ils ne l’aimaient pas du tout, et la villa de Tibur sert d’exemple à ceux qui veulent établir qu’ils n’ont jamais eu ni l’intelligence ni le goût de la nature.

C’est un reproche qu’on fait assez généralement aux Romains, et pour nous, c’est un reproche grave. Nous avons tous la prétention d’aimer la nature avec fureur ; il est plus que jamais de bon ton d’aller visiter les sites célèbres, et nous serions fort blessés qu’on nous accusât de ne pas les admirer comme il convient. On ne trouverait personne chez nous qui eût le courage de dire, comme Socrate : « Non-seulement je ne sors pas de mon pays, mais je ne mets jamais les pieds hors d’Athènes ; car j’aime à m’instruire : or les arbres et les champs ne veulent rien m’apprendre. » C’est un aveu dont on rougirait. Aujourd’hui les champs et les arbres sont devenus plus complaisans, et il n’est personne, même parmi les esprits les plus simples et les plus bourgeois, qui ne prétende gagner beaucoup à s’entretenir avec eux. Les curieux ont noté depuis quelle époque ce goût pour les beautés naturelles est devenu si vif : c’est au milieu du XVIIIe siècle qu’il est né ; Rousseau fut le premier qui mit les montagnes à la mode, et c’est à sa suite qu’on a découvert les glaciers. Depuis lors la Suisse, qu’on tenait pour un pays sauvage, est devenue le pèlerinage obligé de tous les gens qui se respectent. Voilà ce qu’on répète tous les jours, ce qu’on lit partout, ce qui nous rend très fiers de nous-mêmes. Je ne veux pas dire qu’on ait tout à fait tort : assurément depuis un siècle le sentiment de la nature est devenu plus large et plus général ; mais il ne faut rien exagérer non plus et prétendre qu’il était étranger aux Romains. Ils la comprenaient et l’aimaient à leur façon, et je ne crois pas inutile, puisque l’occasion s’en présente, de chercher quelle était leur façon particulière de l’aimer et de la comprendre.

Les Romains étaient sortis des champs, et la campagne fut longtemps leur séjour préféré ; mais plus tard la ville les attira, et bien peu résistèrent à l’attrait qu’ils éprouvaient pour elle. Les grands