pays, qui ne ressemble pas aux autres, et que déjà la nature a fait étrange, l’était devenu bien davantage en s’immobilisant dans sa vieille civilisation. C’était un grand attrait pour les voyageurs curieux de contempler ce débris du passé si fidèlement conservé. Aussi tous ces riches ennuyés qui cherchaient des spectacles nouveaux, et voulaient échapper un moment à l’uniformité générale, étaient-ils heureux de parcourir ce coin du monde qui ne ressemblait à rien. Ils ne manquaient pas d’aller voir les monumens des Pharaons, de contempler les Pyramides, d’entendre Memnon saluer l’aurore et d’écrire leurs noms avec des remercîmens sur le piédestal ou la jambe du colosse. De retour chez eux, ils demandaient aux sculpteurs ou aux peintres de reproduire ce qu’ils venaient d’admirer. C’est ainsi qu’il se répandit dans l’art de cette époque un faux goût égyptien qui a produit quelques bons ouvrages et beaucoup d’imitations ridicules. Des grands seigneurs, ce goût descendit aux autres classes : sur les murs des maisons bourgeoises de Pompéi, on aimait à peindre des paysages invraisemblables, avec des palmiers, des ibis et des crocodiles, qui pouvaient donner quelque idée de ce pays singulier aux gens qui ne l’avaient jamais vu.
Hadrien visita l’Égypte comme les autres, et il n’est pas surprenant que cet esprit curieux et sagace en ait été plus frappé que personne. Nous avons conservé une lettre qu’il écrivit d’Alexandrie à son beau-frère Servien ; l’aspect de cette grande ville de commerce où se réunissaient tous les peuples de l’Orient y est très finement saisi. Il y décrit surtout, en termes malins, l’activité de ce peuple affairé à la recherche de la fortune. « Personne n’y vit oisif, dit-il. Les uns y travaillent le verre, d’autres fabriquent le papier, d’autres tissent le lin. Chacun y a sa besogne et exerce une profession. Les aveugles même, les goutteux et les boiteux trouvent quelque chose à faire. Ils n’ont tous qu’un dieu, l’argent (unus illis deus nummus est) ; c’est lui seul qu’adorent les chrétiens, les juifs et tous les autres. » Comme il arrive dans toutes les villes industrielles où la fortune est si mobile, on cherchait à jouir vite de ces biens qui pouvaient être si vite perdus, et l’on se livrait au plaisir avec autant d’ardeur qu’aux affaires. Le lieu de divertissement des Alexandrins, où ils allaient se distraire de leurs occupations et s’alléger de leurs écus, était la ville de Canope, située à cinq ou six lieues d’Alexandrie. Canope possédait un temple célèbre de Sérapis, où l’on se rendait de toute l’Égypte. Tous les soirs le sanctuaire était plein de gens qui venaient demander au dieu la guérison de leurs maladies ou de celles de leurs amis. Ils se couchaient dans le temple après avoir fait des prières ferventes, et pendant leur sommeil ils recevaient en songe le remède qui devait les délivrer de leurs maux ; mais le plus souvent la santé n’était qu’un prétexte ;