Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préférer Ennius à Virgile, et Fronton, dans sa correspondance, parle à tout propos des vieilles atellanes ; mais ce n’est pas la même chose d’admirer d’anciens écrivains dans son cabinet et d’en citer des fragmens dans ses écrits, ou de les produire sur la scène devant des gens qui ont peine à les comprendre. Peut-être l’empereur, pour avoir l’air de protéger les lettres, donnait-il l’hospitalité, sur son théâtre de campagne, aux rares ouvrages que composaient encore quelques beaux esprits pour les lire dans les salons du grand monde. C’étaient en général d’assez pauvres imitations du théâtre grec, et qui ne pouvaient guère avoir de succès devant un public véritable. Peut-être aussi Hadrien, qui, vers la fin de sa vie, était morose et cherchait à se distraire, faisait-il venir à sa villa les acteurs de pièces populaires, et jouer devant lui les deux mimes qui étaient alors en possession d’amuser la populace de Rome, l’un qui représentait les aventures d’un chef de voleurs aux prises avec la justice, et se moquant des gens qui essaient de le prendre, l’autre où l’on voyait un amant surpris par le retour imprévu du mari et forcé de se cacher dans un coffre : — deux sujets qui n’ont pas cessé, depuis cette époque, d’égayer le peuple, et quelquefois aussi les gens d’esprit.

Quand on quitte le stade, on traverse d’abord des thermes qui paraissent se diviser en deux parties distinctes : on a voulu y voir les bains des hommes et ceux des femmes. De là on arrive à une vallée d’une assez médiocre étendue et plus longue que large, que les archéologues, sur le témoignage de Spartien, s’accordent à appeler Canope. Ce nom n’a pas été donné sans motif, comme tant d’autres. Sur une brique qu’on a trouvée dans la vallée, on lit ces mots qui ne permettent aucun doute : Deliciœ Canopi. Nous étions tout à l’heure à Athènes et nous parcourions le Lycée, l’Académie et le Pœcile ; un caprice du fantasque empereur nous transporte tout d’un coup en Égypte.

Il faut croire que l’Égypte était un des pays qui avaient le plus frappé Hadrien dans ses voyages. On ne visitait pas sans la plus vive surprise cette terre étrange que ses traditions, ses coutumes, sa langue et ses dieux séparaient du reste du monde. Depuis que les Romains étaient devenus les maîtres de l’univers, la plupart des peuples avaient renoncé à leurs lois et à leurs usages pour prendre ceux des vainqueurs ; l’Égypte, sous tous les régimes, resta fidèle à son passé. Les conquérans grecs, qui étaient venus régner sur elle, les préfets que Rome envoyait pour la gouverner, ne changèrent rien à ses habitudes. Soumise pendant plus de six siècles à des dominations étrangères, elle continuait à vivre à sa façon, bâtissant des temples comme au temps de Sésostris, et les ornant d’hiéroglyphes auxquels ses conquérans n’entendaient rien. Ce