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appelle vulgairement les Cent-Chambres, Cento Camerelle. Ligorio, qui se représentait les césars comme les princes de son temps et qui s’imaginait qu’ils n’allaient nulle part sans être suivis de leurs soldats, supposa que ces logemens étaient destinés à la garde impériale, et les autres archéologues ont accepté cette opinion. En réalité, les empereurs romains, surtout ceux qui étaient solidement établis et n’avaient guère à craindre de révolution imprévue, ne traînaient pas des armées à leur suite, et comme il y avait d’ordinaire dans leurs maisons de campagne plus d’esclaves que de soldats, il est naturel de penser que les Cent-Chambres, dont on a voulu faire une caserne de prétoriens, étaient simplement le domicile des gens de service. L’esplanade qui s’étendait au-dessus des substructions était enfermée par un immense portique rectangulaire, au milieu duquel se trouvait un grand bassin dont on voit encore quelques vestiges. Un des côtés du portique s’est conservé. C’est une muraille en briques de 10 mètres de haut et de 230 mètres de long. Au milieu de tant de ruines amoncelées, elle est restée debout. Lorsqu’après s’être frayé péniblement un chemin à travers ces blocs renversés, ces fragmens de colonnes épars, on arrive tout d’un coup en face de ce mur si merveilleusement intact, la surprise égale l’admiration. On se demande par quelle fortune étrange il n’a pas eu le sort du reste et ce qui l’a préservé de la ruine commune à laquelle il semblait plus exposé par son étendue et sa hauteur mêmes. Il n’est guère douteux que ce portique ne soit celui que Spartien mentionne sous le nom de Pœcile et qui était l’imitation d’un monument athénien. Le Pœcile d’Athènes, que la description de Pausanias nous fait connaître, était surtout célèbre par les peintures de Polygnote. Il y avait représenté des souvenirs glorieux, notamment la victoire de Thésée sur les Amazones et la bataille de Marathon. Il n’en reste plus aujourd’hui aucune trace. Comme nous ne savons pas si Hadrien avait, été un imitateur fidèle, il est difficile de dire jusqu’à quel point la copie peut donner une idée exacte du modèle. Ce qui est sûr, c’est qu’on se figure facilement ce que devait être le Pœcile de Tibur. Des deux côtés du mur, qui s’est si bien conservé, s’élevaient des colonnes dont il ne reste plus que quelques soubassemens. Elles soutenaient un toit élégant et formaient deux portiques qui communiquaient ensemble par une porte qui existe encore. Ce double portique était orienté de telle manière qu’une des faces était toujours à l’ombre quand l’autre était au soleil, en sorte qu’on pouvait s’y promener dans toutes les saisons de l’année et à tous les momens du jour : il suffisait de changer de côté, selon les heures, pour y trouver toujours la chaleur en hiver et le frais en été. La muraille était probablement couverte de peintures, et ces peintures devaient reproduire celles de