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que de bâtisses et de festins, de statues et de tableaux, en un mot il n’eut plus d’autre souci que de passer sa vie dans la joie et le plaisir. » Il faut conclure de ce passage qu’en 136, quand Hadrien prit la résolution de s’éloigner des affaires, la villa de Tibur existait déjà. On ignore à quelle époque il avait commencé à la bâtir, mais il est sûr qu’il passa les trois dernières années de sa vie à l’embellir, à l’achever, et à la mettre en cet état de perfection qui la fit regarder comme un de ses plus beaux ouvrages.

Le site de la villa de Tibur n’est pas seulement fort agréable, il est aussi très sain : c’était alors le premier mérite d’une maison de campagne. Sans doute la plaine de Rome, couverte d’arbres et de moissons, remplie d’habitations charmantes, de villas et de jardins, ne ressemblait pas à ce qu’elle est devenue après plusieurs siècles d’abandon : ce n’était pas encore un désert et un cimetière ; mais même au temps où elle était le plus riche et le plus peuplée, on y craignait le mauvais air. Cicéron félicite beaucoup Romulus d’avoir trouvé moyen de fonder une ville salubre dans un pays empesté, in pestilenti loco salubrem. On sait que cette prétendue salubrité de Rome n’empêchait pas que tous les ans, selon le mot d’Horace, la chaleur n’y amenât les fièvres et n’y fît ouvrir les testamens : ce devait être bien pis dans les campagnes qui l’entouraient. Aussi était-il avant tout nécessaire, quand on y voulait bâtir une villa, d’en bien choisir l’emplacement. Celle d’Hadrien est située près des derniers contre-forts des Apennins, au pied de la montagne sur laquelle s’élève Tivoli. Tandis qu’elle est largement ouverte à l’influence bienfaisante du vent d’ouest, les collines qui l’environnent la protègent contre le scirocco et les souffles pestilentiels du midi. Deux petites vallées parallèles courent dans la direction du nord au sud ; elles enferment une plaine qui s’élève en étages et forme une sorte d’éminence de trois milles d’étendue : c’est dans cette plaine qu’était construite la villa. Ce terrain contenait beaucoup de ces inégalités naturelles que nous conservons avec soin et qui nous semblent un des plus grands agrémens de nos jardins. Les Romains au contraire ne les aimaient pas, et ils se donnaient beaucoup de peine pour aplanir par de vastes substructions le sol sur lequel s’élevaient leurs maisons de la ville ou de la campagne. Ces substructions se retrouvent aussi dans la villa de Tibur. Il semble pourtant qu’Hadrien ne se soit pas tout à fait autant préoccupé que les autres d’établir dans toutes ses constructions un niveau uniforme ; il a conservé quelques-uns des accidens qu’offrait le terrain, et l’on y trouve un assez grand nombre de salles et de cours qui sont sur des plans différens. Deux petits ruisseaux qui descendent des montagnes de la Sabine traversent les deux vallées et se réunissent près de l’entrée de la villa pour se jeter ensemble dans l’Anio. Comme presque tous