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nous pouvons comprendre par là un des plus étonnans phénomènes de la psychologie de l’amour, l’association inévitable de cette idée et de celle de la mort. « L’amour est fort comme la mort, » « la femme est amère comme la mort, » ces mélancoliques paroles reviennent souvent dans le Cantique des cantiques, dans l’Ecclésiaste, dans les Proverbes. Ce rapprochement, si fréquent dans les inspirations de Salomon, abonde aussi chez les lyriques. Mais nulle part il n’a été l’occasion d’un effort aussi grand que celui de Leopardi pour nous bien convaincre de ce fait étrange. « C’est un couple fraternel que l’Amour et la Mort : le destin les engendra en même temps. De choses aussi belles, il n’y en a point dans le monde d’ici-bas, il n’y en a point dans les étoiles. De l’un naît le plaisir le plus grand qui se trouve dans la mer de l’être ; l’autre assoupit les grandes douleurs… Lorsque commence à naître au fond du cœur la passion de l’amour, en même temps qu’elle s’éveille dans le cœur un désir de mourir, plein de langueur et d’accablement. Comment ? je ne sais ; mais tel est le premier effet d’un amour vrai et puissant. » La jeune fille elle-même, timide et réservée, qui d’ordinaire au nom de la mort sent se dresser ses cheveux, ose la regarder en face, et dans son âme ignorante elle comprend la douceur de mourir, la gentilezza del morir. — Essayons de nous rendre compte de ce singulier phénomène. Peut-être, quand on aime, ce désert du monde épouvante-t-il le regard : on voit désormais la terre inhabitable sans cette nouvelle, unique, infinie félicité que conçoit la pensée. Peut-être aussi l’amant pressent-il la terrible tourmente qu’elle doit soulever dans son cœur, la lutte des hommes, la fortune et la société conjurées contre son bonheur ; peut-être enfin est-ce le secret effroi de ce qu’il y a d’éphémère dans tout ce qui est humain, la défiance douloureuse de soi-même et des autres, la crainte de ne plus aimer ou de ne plus être aimé un jour et qui semble plus insupportable à ceux qui aiment que le néant même. C’est un fait que les grandes passions sentent instinctivement que la terre ne peut les contenir et qu’elles feront éclater le vase fragile du cœur qui les a reçues : elles se réfugient d’avance dans la pensée de la mort comme dans un asile. Voilà ce que nous suggère le poète dont la pensée, malgré un grand effort, reste parfois indécise, et à la page suivante, sous ce titre expressif : A se stesso, nous trouvons, comme en post-scriptum, un commentaire tout personnel de ses dernières désillusions sur l’amour et les biens de la terre : « Et maintenant tu te reposeras pour toujours, mon cœur fatigué. Elle a péri, l’erreur suprême que j’ai crue éternelle pour moi. Elle a péri. En moi, je le sens, non-seulement l’espoir, mais le désir même des chères erreurs est éteint. Repose-toi pour toujours. Tu as assez palpité. Aucune chose ne mérite tes