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De Serre à la première présidence de la cour de Colmar. « Bon jour, bon an, te voilà présidente d’Alsace, » écrivait-il à sa femme le 1er janvier 1815 ; mais par un mauvais sort, au moment où il arrivait à Colmar pour ouvrir sa cour, la première restauration était déjà menacée d’être emportée par la funeste crise des cent jours, par l’immense défection du 20 mars, et l’homme se retrouve tout entier avec sa droiture sérieuse dans cette délicate épreuve. En apprenant la marche miraculeuse et désastreuse du grand débarqué du golfe Juan, il avait la vive impression d’un événement qui faisait tomber tout d’un coup la patrie, comme il le disait, « de l’espoir le mieux fondé de liberté dans un abîme sans fond. »

Ce qu’il ne devait et ne pouvait pas faire, quant à lui, il le sentait sur-le-champ ; ce qu’il devait faire, il le voyait moins d’abord. Délié par la chute de l’empire, rattaché d’âme et d’esprit à la monarchie restaurée, il ne pouvait pas, par une versatilité de fonctionnaire, revenir à Napoléon. En même temps, il ne voulait pas être encore une fois émigré. En se mettant aux ordres du roi, en restant fidèle, il se défendait d’aller à Gand. Il se retirait dans une propriété sur la Moselle, aux forges de La Quint, laissant passer un orage qui aggravait tout, qui préparait à la France une invasion nouvelle, à la monarchie encore une fois ramenée de l’exil le danger des exaspérations intérieures. Il ne sortait de cette retraite d’un moment que pour rentrer dès le lendemain des cent jours dans sa magistrature de Colmar, et pour être nommé, coup sur coup, président du collège électoral, député du Haut-Rhin à la première chambre de la seconde restauration. De Serre se trouvait désigné par les circonstances comme le chef naturel des royalistes sensés de l’Alsace. Il se caractérisait lui-même en écrivant dès son début dans la vie parlementaire : « Notre chambre, — celle de 1815, — n’a que trop d’ardeur dans le bon sens,… j’y jouerai probablement le rôle de modérateur… » Il promettait ce rôle à sa généreuse ambition, et c’est ainsi qu’il arrivait à la politique, homme déjà fait, éclairé par l’étude et par l’expérience des choses, façonné à l’usage de la parole, mûr en un mot pour cette scène qui s’ouvrait devant lui, — où il allait combattre, briller et mourir.


III

C’est le destin des gouvernemens que la France a vus tour à tour s’élever et disparaître. Ils ont tous porté en eux-mêmes à leur naissance une fatalité qui les a tués. La fatalité de l’empire, c’est la guerre. La fatalité de la restauration, après le malheur de la coïncidence avec les invasions étrangères, c’est le conflit des