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de la passion, de l’imagination ! voilà la caverne de l’âme ! Arrivé là, que fera le physiologiste ? Son voyage à travers les nerfs, les centres moteurs et sensitifs, ne lui a pas appris la nature du phénomène nerveux : pourra-t-il faire de la physiologie, chercher les variations que présente ce phénomène dans les centres qu’il a jugé n’être ni sensitifs ni moteurs et auxquels il a attribué l’idéation ? Il ignore la psychologie : pourra-t-il chercher le lieu d’exercice ou le correspondant anatomo-physiologique de la mémoire, de l’imagination, du raisonnement déductif, de la crainte, de la haine ? tout fil conducteur lui fait défaut ; il est enfermé dans un labyrinthe ténébreux, et il n’y apporte lui-même aucune lumière.

Mais supposons-le muni de tous les secours qui lui manquent, en possession d’une vraie science psychologique et d’une bonne définition du phénomène nerveux. Pourra-t-il, en bonne logique, tenir les promesses de ses préfaces, faire rentrer l’activité de l’âme dans la classe des fonctions physiologiques, ramener la nature humaine à l’unité, confirmer son affirmation présomptueuse que la psychologie positive ou vraiment scientifique n’est qu’un chapitre de la physiologie ? Le cerveau n’a plus de mystères ; toutes les fonctions de ses moindres parties sont découvertes ; la fonction cérébrale, en sa nature anatomo-physiologique, est aussi bien connue dans tous ses détails que la fonction du cœur, de ses cavités et de ses tissus. D’autre part, les faits de l’âme sont classés et définis ; les lois de leur enchaînement sont établies. Eh bien ! on a trouvé, je suppose, que telle cellule a pour fonction : un gonflement du nucléole, des mouvemens amœboïdes de l’enveloppe, ensuite des mouvemens péristaltiques des fibres qui y aboutissent ; voilà de la physiologie. Essayez maintenant de rattacher à ces phénomènes un quelconque de ceux-ci : doute, conviction, désir, joie, crainte, etc. C’est comme si l’on vous proposait, étant donnée une couleur, de trouver le son de cette couleur.

Je ne prétends pas qu’il serait impossible de démontrer que tel son correspond à telle couleur, si un même phénomène physique pouvait se manifester à nous sous cette double forme ; mais, une fois la loi de correspondance établie, le son et la couleur resteraient deux faits distincts et irréductibles. De même le désir et les mouvemens nerveux : démontrer qu’ils se correspondent, ce ne sera pas diminuer d’un millimètre l’abîme infranchissable qui les sépare ; la science des mouvemens organiques ne deviendra pas la science des faits inétendus ; elle n’absorbera pas la psychologie. On aura seulement créé une science supérieure qui reliera par des lois synthétiques et les phénomènes distincts et leurs lois particulières, comme la thermodynamique relie les phénomènes et les lois de la chaleur