Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’accouplement de ces deux mots signifie seulement que, par analogie, on croit pouvoir supposer, dans certains cas où l’observation intérieure ne donne pas de sensation, l’x anatomo-physiologique que l’on suppose toujours quand l’observation intérieure donne des sensations.

Revenons à la sensation consciente. M. Luys donne quelque part cette explication de la vision : « Quand la lumière atteint la rétine, l’élément nerveux est frappé dans sa sensibilité intime, il s’érige, il entre en arrêt, il est attentif. » Il n’est pas besoin que le lecteur soit profondément versé dans la psychologie pour que son esprit se refuse à comprendre un pareil langage. Qu’est-ce que la sensibilité intime d’un élément nerveux ? Un mot vide de sens ou une entité ; si c’est une entité, les vitalistes seuls, puisqu’il n’y a plus de scolastiques, pourront l’admettre ; alors que devient la méthode expérimentale et positive dont M. Luys et toute l’école de Paris se disent les partisans exclusifs ? qu’est-ce ensuite pour un organe qu’être frappé dans sa sensibilité ? quelle lumière enfin apportent à la question les trois métaphores, la première physiologique, la seconde cynégétique, la troisième psychologique, par lesquelles la phrase se termine ?

Ces sortes de phrases sont malheureusement familières à M. Luys ; il y en a en ce genre de plus longues et de plus extraordinaires, qui, paraissant à première vue enveloppées d’une ombre mystérieuse, perdent toute signification réelle, toute valeur scientifique, pour peu qu’on essaie de les traduire en un langage plus simple et plus rigoureux. D’autres, et de plus autorisés[1], ont fait cette critique avant nous et l’ont appuyée d’exemples significatifs ; aussi est-il superflu d’y insister. Notons cependant un fait étrange : dans le chapitre si important, si central en un pareil livre, du jugement, M. Luys a négligé de distinguer et les élémens constitutifs du jugement et ses différentes espèces, malgré quoi il n’éprouve aucun embarras à décrire le processus physiologique du jugement !

Notre intention, nous l’avons dit, n’est pas de poursuivre dans les théories particulières la critique des procédés de pensée et de style qui sont habituels à M. Luys, et qui semblent être devenus pour lui, tant sa sincérité est profonde, sa conviction absolue, comme une seconde nature dont il ne peut secouer l’impérieuse domination. Nous allons concentrer notre examen sur un point capital, sur la distinction, fondamentale en psychologie, des trois opérations de l’âme, et sur la nature de la loi qui relie ces trois opérations. Cette loi, nous l’énoncerions ainsi, dans notre langage : 1° le corps agissant sur l’âme, elle sent ; ou mieux, certain

  1. M. P. Janet, M. Delbœuf.