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cerveau ; en effet, l’intelligence croît, chez les enfans, avec le cerveau, comme les forces croissent avec les muscles ; une commotion à la tête entraîne des troubles de l’intelligence et du sentiment ; la science a noté depuis longtemps un certain nombre de faits du même genre, tous très généraux. Donc, dit-on, la fonction du cerveau, c’est la pensée, plus les autres faits inétendus qui se produisent avec la pensée.

Fort bien ; mais, entre ce rapport de fonction à organe et le rapport ordinaire, il y a une grande différence, et c’est ce qui rendra si difficile toute localisation particulière et précise d’un acte de l’âme déterminé dans une région spéciale du cerveau. Ailleurs, la fonction, c’est la fonction de l’organe, c’est l’organe en fonction, l’organe en mouvement ; c’est l’organe, plus quelque chose. Ici, la fonction est sui generis, à part, sans rapport avec l’organe, hétérogène à l’organe et à tout l’organe et à tout mouvement ; c’est un monde à part, le monde inétendu.

Ainsi, d’un côté nous avons l’organe tout seul, nous n’avons pas ce quelque chose de l’organe qui s’ajoute à l’organe et constitue sa fonction ; de l’autre côté, nous avons quelque chose qui est aussi tout seul, sui generis, à part. Ici, un organe sans fonction ; là, une fonction en quelque sorte inorganique, ou plutôt une prétendue fonction dépourvue des caractères essentiels de la fonction, incapable de jouer le rôle qu’on lui attribue.

On suppose avec raison que ce monde inétendu équivaut à la fonction inconnue. Soit, il en est l’équivalent ; mais il ne la remplace pas pour la science, car aucune découverte ne pourra établir entre une pensée et un élément cérébral ce lien qui existe entre un muscle et une contraction, entre une glande et une sécrétion.

Voilà donc deux sciences, l’anatomie cérébrale et la psychologie, qui sont incapables de se prêter le moindre secours : elles peuvent et elles doivent se constituer dans l’indépendance la plus parfaite ; elles ne se supposent pas mutuellement ; un infranchissable abîme sépare leurs objets. L’anatomiste ne perd rien à ignorer l’âme ; de même le psychologue ne perd rien à ignorer la constitution du cerveau : chacun d’eux doit donc faire son œuvre dans l’isolement, sans se préoccuper du travail et des découvertes de l’autre. Les deux sciences sont également simples et claires quant à leurs données et à leurs méthodes. L’une et l’autre ont pour fins des descriptions aussi complètes et détaillées que possible, ici d’un ordre de faits étendus, juxtaposés, solides et colorés, là d’un ordre de faits tout différens, faits inétendus, simplement successifs ou contemporains.

De plus, la psychologie peut dépasser la description, s’élever au rang des sciences inductives, déterminer les lois de la succession ou de la coexistence des faits inétendus, et cela sans sortir de son