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sur une musique transmise le plus souvent par une longue tradition et tout anonyme, née pour ainsi dire du sol même, de ces forêts et de ces montagnes, ou bien œuvre d’artistes qui se sont évidemment inspirés de cette tradition, comme M. Wennerberg, l’auteur des Gluntarne. Donner à qui ne les a pas entendues une idée de l’effet produit par ces masses chorales serait impossible : la surprise est grande de ceux qu’elles émeuvent pour la première fois. La poésie étrange des petits poèmes que revêtent ces chants n’est pas pour rien dans l’impression produite : ce sont des fragmens de sagas, des légendes tantôt gracieuses, tantôt sombres ou sinistres, des ballades dont presque tout le charme est dans l’expression ou dans l’étroit accord entre une imagination presque insaisissable et le vague de la musique. On peut se demander s’il y a là de quoi subvenir à une ample et féconde production musicale ; en tout cas, la Suède, qui a produit déjà de si heureux talens, se montre ainsi en possession d’un art très délicat et très original. Chaque génération universitaire recueille et transmet cet héritage. Toute nation a son école de chant, et ils se groupent en nombreux chœurs. Naviguent-ils par le beau temps sur les eaux du Mélar, célèbrent-ils quelque fête intérieure, reçoivent-ils dans leur ville quelque hôte respecté ou le roi, aussitôt, sans préparation et sur un signal, ils entonnent de leurs voix jeunes et fières quelqu’un de ces chants. On peut calculer ce que cela suppose entre eux de concorde amicale, de discipline volontaire, d’influences intimes et généreuses ; il y a là toute une école de patriotisme, de poésie et de liberté.

Les étudians d’Upsal accordent donc une certaine place à la tradition. Ils ont leurs annalistes : précisément à l’occasion du quatrième centenaire, outre le grand ouvrage de M. Claes Annerstedt, M, Lewenhaupt a publié une histoire de la nation d’Upland, MM. Eneström et Swederus celle de la nation de Vestmanland, MM. Palmberg, Warburg et Aberg celles des nations de Smâland, de Gothenbourg et de Stockholm. Ils ont leurs fêtes anniversaires consacrées aux principaux souvenirs de la patrie : leur deuil public en l’honneur des morts de l’année précédente, ils l’ont placé, par un touchant contraste, au commencement de la saison nouvelle ; on redit alors quels maîtres on a perdus, quelles destinées ont été tranchées avant l’âge et par quelles atteintes l’année a perdu son printemps. Ils ont des fêtes pour les plus grandes dates de leur histoire, pour l’union de la Suède avec la Norvège, pour la mort de Charles XII, pour celle de Gustave-Adolphe, pour l’avènement de Gustave Vasa. Ce respect du passé ne les empêche pas soit d’effacer, nous l’avons dit, ce que ce passé comportait d’excessif ou de suranné, soit de prendre une vive part quelquefois, non sans une