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imposée aux jeunes gens qui, sortant de l’enseignement secondaire, voulaient acquérir le titre et les privilèges d’étudians. Ces novices, ces béjaunes, comme on disait à Paris pendant le moyen âge, par comparaison avec les oiselets au bec encore jaune qui viennent de quitter le nid, étaient affublés par l’étudiant depositor d’un costume ridicule, ahsurdœ vestes, d’un habit de toutes les couleurs, d’un chapeau avec des oreilles d’âne et des cornes ; on leur adaptait à la bouche deux grandes dents : c’étaient leurs attributs d’ignorance et de rudesse primitives, qu’ils devaient déposer selon toutes les règles pour devenir d’honnêtes et libres étudians. Habillé lui-même d’une façon bizarre, et un bâton à la main, le depositor chassait devant lui ce timide troupeau jusqu’à ce qu’il fût réuni dans la salle où attendait la plus brillante assistance, quelquefois des reines et des rois. On commençait par la vexatio : elle consistait à faire étendre le patient à terre, où le depositor, avec une hache, un grand rabot, la lime, les ciseaux et les pinces, faisait mine de l’émonder et de le polir, afin disait-il, de transformer cette souche grossière en un beau tronc digne de figurer dans le temple de l’intelligence. On procédait ensuite à la toilette, à grande eau ; le cornutus était assis sur un tabouret à un seul pied ; on le barbouillait de suie, puis on le rasait avec un rasoir de bois, on lui peignait les cheveux, on lui faisait les ongles. On lui posait alors des questions grotesques, captiosœ quœstiunculœ, auxquelles il eût difficilement répondu, même si les défenses attachées à sa mâchoire lui eussent permis autre chose que des sons inarticulés. Ou bien on glissait dans ses poches des billets perfides qu’on feignait d’y surprendre ensuite, et qu’on lisait tout haut devant l’assemblée : c’était sa tendre mère qui lui souhaitait toute espèce de soins délicats ; c’était sa fiancée qui lui adressait de douces confidences, et, à chaque fois, au milieu des éclats de rire, on le rabotait, c’était l’expression consacrée, pour le punir de ses indiscrétions, de ses témérités, de ses bonnes fortunes imaginaires. Enfin le depositor le prenait par le cou entre les longues branches d’un instrument de bois en forme de ciseaux, et le secouait avec force jusqu’à ce que ses longues oreilles, ses dents et ses cornes fussent tombées à terre ; il ne restait plus qu’à lui placer quelques grains de sel sur la langue, à lui verser quelques gouttes de vin sur la tête, pour que l’écolier ignorant fît place à l’étudiant transfiguré. C’était le doyen de la faculté qui accomplissait ces derniers rites, empruntés évidemment, sans pensée de scandale, aux cérémonies chrétiennes du baptême ; on lui donnait en même temps les explications et les conseils convenables à la circonstance. Nous trouvons dans Freinshemius et ailleurs les formules dont on se servait d’ordinaire : « Recevez le sel de la sagesse, afin que, distinguant le bien du