Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A ses cours ; il instituait de grandes discussions, avec tentures et musique, pour les jours de marché. Les étudians accouraient, et il les retenait, disait-on, par tous les moyens. De là contre Lui deux sortes, d’adversaires, ceux qui regrettaient les anciennes mœurs, mais ceux, aussi qui, inspirés de la même ardeur que Messenius, voulaient, régner en maîtres et voyaient en lui un rival.

Jean Rüdbeck, professeur d’hébreu, fut de ce nombre. Ils se ressemblaient trop en jalouse humeur et en> naïf orgueil pour ne pas se quereller. Rüdbeck aussi était un bourreau de travail, il s’en vante sans cesse. Il s’acquitte en une année de soixante-treize disputations, de cinquante-huit discours publics, de deux cents publications, outre l’enseignement de chaque jour en latin, grec, hébreu, philosophie, théologie, rhétorique, logique, arithmétique, algèbre, géométrie, géodésie et physique. Puisque chacun des deux professeurs enseignait à peu près toutes choses, comment aurait-il souffert que les étudians allassent écouter son rival ? Le pauvre Messenius, avait été élève des jésuites, et on le soupçonnait ! de nourrir secrètement des sympathies pour leurs doctrines. Rüdbeck en prit occasion dès son premier discours, le 11 décembre 1609, et tonna contre l’église romaine de telle sorte que Messenius qui ne prétendait soutenir publiquement aucun parti, parut aux yeux de tous personnellement atteint, et lui-même se tint pour tel. Le trait le plus intéressant de la lutte ardente qui s’engagea entre les deux professeurs fut la différente direction qu’ils imprimèrent à leur enseignement : elle se voit en particulier dans les exercices dramatiques, auxquels chacun d’eux conviait ses élèves. Rüdbeck n’admettait que les œuvres des Grecs et des Romains : après les avoir expliqués dans ses cours, il faisait jouer en public par ces jeunes gens le Cyclope. d’Euripide, l’Eunuque, les Aldelphes, l’Andrienne, le Phormion de Térence. Messenius procédait d’autre façon. Il composait lui-même, dans la langue nationale, des tragi-comédies. Sans doute on y perdait au point de vue des études purement classiques ; mais un autre enseignement devait résulter de ces exercices, car l’auteur avait choisi les sujets de ses pièces dans l’histoire scandinave. Au lieu de mettre éternellement sur la scène, comme ses prédécesseurs, les épisodes bibliques, il puisait dans la chronique de Saxo Grammaticus et dans celle d’Olaüs Magnus, et formait le projet d’exposer dans une série de cinquante drames l’histoire de la Suède tout entière. On peut juger de son dessein et de sa manière par les six pièces qu’il a écrites. Elles ont pour sujets des épisodes célèbres dans les chroniques scandinaves ; l’une d’elles n’est que le tableau du règne des rois Folkungs transporté sur la scène : l’impression tragique y nait de l’histoire même, et l’on pense invinciblement à Shakspeare. Non