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il oublie aussitôt l’Égyptienne ; il est sur le point d’épouser la première princesse qui est offerte à son choix. Le dénoûment de la nouvelle est plus compliqué que celui du conte ; nous n’y trouvons pas le duo poétique entre les deux pigeons. Pirinie se rend à la cour, où elle traite assez mal trois chevaliers un peu entreprenans. Elle comparaît devant le roi qui doit la juger et, sans nommer personne, elle lui raconte son histoire. Puis elle jette en l’air son anneau en annonçant qu’il retombera au doigt de l’époux qui l’a délaissée. L’anneau retombe naturellement au doigt de Terminion, qui reprend aussitôt la mémoire, et les deux époux, rendus l’un à l’autre, finissent par aller en Égypte, « où ils vécurent de longues années royalement et allègrement. »

Telle est la nouvelle littéraire. Mais comme le conte est plus intéressant, comme le récit court plus vite, avec toute l’aisance et avec toute la liberté de ses mouvemens, quand il ne vise pas au beau style oratoire ! Nous ne pouvons rendre en français avec nos naïvetés cherchées et nos incorrections voulues la saveur et le parfum du dialecte toscan, dont la grâce familière efface toutes les élégances de l’art. Tout au plus avons-nous pu garder la simple et franche allure de l’original. Luisa Ginanni, la plébéienne des environs de Pistole, qui a dicté ce récit, nous paraît avoir atteint l’idéal du genre : elle dit tout, vite et bien, sans bavardage et sans sécheresse, et que de choses dans ce récit ! que de réminiscences venant de partout et attestant encore une fois les origines communes de tant de nations qui se croient aujourd’hui divisées par des haines de race ! Il y a le jugement de Salomon, la baguette de Circé ! il y a le poétique tableau de la jeune fille laissant tomber du haut de sa fenêtre les longues tresses de ses cheveux pour faire à celui qu’elle aime une échelle de soie et d’or. Les contes du moyen âge et de l’Orient ramènent volontiers cette scène merveilleuse et touchante. On la retrouve dans des chansons grecques et dans les fiabe de tous les pays italiens. Pareillement la malédiction de l’ogre, accompagnée d’une cantilène qui donne le frisson, est un ressouvenir des nénies antiques, et ces nénies ont elles-mêmes passé le Gange avec les Aryens.

« Au temps où tous les hommes étaient bons, riches et heureux, vivait un grand roi âgé de neuf mille ans. De sa première femme il avait eu un fils très beau et très brave à qui il devait laisser son royaume. Mais ayant épousé plus tard une seconde femme, en un jour d’amour il lui avait promis de lui accorder un don quel qu’il fût, et elle exigea que le fils aîné fût envoyé en exil, pour donner la couronne à son propre fils à elle. Chassé par la cruelle marâtre, le prince se retira dans la forêt avec la princesse sa femme. Mais un