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bourse pour voir si nous prenons l’argent. » Et dans la journée ils dirent au compère qu’ils voulaient s’en aller. Lui ne voulait pas les lâcher ; mais après beaucoup de paroles le compère leur donna à chacun deux cents ducats et les laissa aller. Ils s’en allèrent et, marchant toujours, ils se trouvèrent le soir dans un bois, et comme ils n’avaient rien où se coucher, ils se mirent sur un chêne. Quand ce fut le matin et qu’ils se levèrent tomba la bourse aux cinquante ducats. Les frères dirent : « Ah ! c’est pour ça que le compère voulait nous garder chez lui, c’est cette vertu que nous avons. » Ils se mirent en chemin et ils marchaient. Et quand ils arrivèrent à un carrefour, l’un d’eux resta en arrière un moment et se mit à faire un service (on devine ce que cela veut dire). Les deux frères ne se retrouvèrent plus. Celui qui avait l’avantage de gagner chaque matin une bourse avec cinquante ducats se trouva dans une ville et celui qui devait être pape se trouva dans une autre ; mais ce dernier était à la rue, parce qu’il n’avait rien à manger ; pour vivre, il se mit à faire le sacristain dans une église. Vint le temps où dans cette ville on eut à faire un pape. On jetait en l’air une colombe pour voir sur la tête de qui elle s’arrêterait. Elle tomba sur la tête du sacristain, et ce fut lui qui fut pape. (Voilà un nouveau genre de conclave qui se retrouve dans plus d’un conte populaire en Italie et ailleurs. Pareillement, quand les rois sont embarrassés pour trouver un gendre, ils laissent tomber du haut d’une tour un mouchoir sur la foule. Celui sur qui tombe le mouchoir épouse la fille du roi.)

Laissons maintenant le pape et prenons l’autre frère qui avait l’avantage de la bourse. Celui-ci alla dans une ville où on faisait le théâtre (où il y avait un théâtre) et où l’on payait cinquante ducats tous les soirs (soit deux cent douze francs cinquante centimes ; c’était un peu cher pour un fauteuil d’orchestre, mais l’imagination populaire ne lésine jamais). La femme qui faisait le théâtre (la prima donna) en était fort occupée et se disait à elle-même : « Que doit être ce seigneur-là qui vient chaque soir ici ? » Elle avait avec elle une vieille duègne (ruffiana) et elle lui dit de demander à ce seigneur qui il était. La vieille alla auprès du jeune homme et lui dit : « Quelle fortune avez-vous pour venir chaque jour au théâtre ? » Il répondit et il dit : « J’ai chaque matin une bourse de cinquante ducats. » Alors voilà que la femme de théâtre dit à la duègne de demander au jeune homme s’il veut l’épouser. La duègne le dit et le jeune homme répondit : « C’est aussi mon plaisir. » Et cette femme, le soir d’après, le spectacle étant fini, le voulut chez elle, et puis, petit à petit, avec son papotage, lui tira de la bouche comment il avait cette bourse tous les matins. Lui, comme un ignorant (un naïf), lui fit connaître qu’il avait mangé le foie d’un oiseau. La femme, ayant appris ça, voulut l’avoir à dîner chez elle, et