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brillant ministre de la royauté nouvelle n’avait pas encore quarante ans. Il tenait à la monarchie par les traditions de famille et à l’empire par les magistratures qu’il venait d’occuper. François-Hercule de Serre était né en 1776 à Pagny sur la Moselle. Sans être d’une aristocratie de cour, il était d’une bonne race transplantée autrefois du Comtat en Lorraine et attachée héréditairement aux fonctions d’état jusqu’à la mort du dernier duc, le roi Stanislas. Son père était officier de cavalerie au service de France. Sa mère, à qui il est resté toujours si tendrement lié, était une Maud’huy, autre famille lorraine. Il était Lorrain avec la flamme survivante du Midi dans le sang.

Élevé à Metz sous un maître habile, porté par son goût vers les études classiques, mais destiné par son père au métier des armes et bientôt admis à l’école d’artillerie de Pont-à-Mousson, il n’était encore qu’un adolescent lorsque la révolution le jetait tout à coup dans l’émigration. Amis et ennemis, les uns pour lui en faire honneur, les autres pour lui en faire un crime, ont souvent depuis rappelé à De Serre ce passé d’émigré et d’ancien officier de l’armée de Condé. C’était en effet son début, un étrange début dans la vie sérieuse. Parti dès 1791 pour Coblentz, le rendez-vous de l’armée des princes, il s’était trouvé engagé à quinze ans dans cette carrière aventureuse de l’émigration que Chateaubriand a décrite. Il avait servi successivement dans les gardes du comte d’Artois, dans le régiment de Viomenil, dans les chasseurs de Condé, dans la légion de Mirabeau. Il avait été en 1796 de cette terrible affaire d’Oberkamlach, de cet héroïque duel entre gentilshommes et républicains, qui arrachait au duc d’Enghien ce cri du soldat : « Ce ne sont plus (les républicains) nos hommes de 93, ce sont des dieux. Comme ils se battent ! Je ne sais plus à qui donner la pomme pour la valeur, de nos troupes ou des leurs. » Chose curieuse ! dans ce même combat, dans cette cruelle mêlée de Français, se trouvaient en présence, bien inconnus encore, deux hommes faits pour s’estimer, le capitaine d’artillerie Foy et le jeune De Serre, qui devaient se rencontrer vingt-cinq ans plus tard dans des luttes moins tristes[1].

La vérité est que dans cette vie d’émigration, où il s’était trouvé

  1. Un jour, en 1820, le général Foy laissait échapper en pleine chambre, au sujet des émigrés, des paroles assez vives, qui étaient immédiatement relevées par M. de Corday, et qui amenaient un duel. Le lendemain, après le combat, Foy, avec sa loyauté chevaleresque, s’efforçait d’atténuer le caractère de ses paroles, et il ajoutait : La vivacité de mes expressions ne prouve-t-elle pas suffisamment qu’on ne pouvait pas, qu’on ne devait pas les appliquer à une classe nombreuse de citoyens qui ont beaucoup et longtemps souffert, à des hommes que j’ai combattus corps à corps, par conséquent avec estime, à Oberkamlach et dans vingt autres rencontres… »