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de savoir que l’Autriche avait l’assentiment de la Russie, elles demandèrent des explications aux deux gouvernemens. Ceux-ci ne répondirent que d’une manière évasive. C’est alors que M. Mercier, chargé par le prince-président d’une mission confidentielle auprès du tsar (avril 1851), fit entendre à Saint-Pétersbourg un langage très précis : il avait ordre de dire que la France ne verrait point avec plaisir cette entrée de l’Autriche tout entière dans la confédération germanique, et que, si on ne renonçait à ce dessein, la paix de l’Europe serait troublée. Le cabinet de Saint-Pétersbourg, tout en affectant de croire que ce ne pouvait être pour la France un sérieux casus belli, s’empressa d’avertir le prince de Schwarzenberg qu’il y avait lieu d’ajourner son projet. Ce sont là des faits à peu près inconnus que nous révèlent les notes de Stockmar.

Cette nouvelle tentative du prince de Schwarzenberg indiquait l’intention de pousser à outrance les avantages remportés à Olmütz. Pour des patriotes allemands tels que Stockmar et Bunsen, quelle douleur de voir l’Allemagne menacée d’un envahissement par l’Autriche et n’échappant à ce péril que par la protection de l’Angleterre et de la France ! Il n’en fallait pas tant pour faire éclater les sentimens de colère dont Stockmar s’efforçait de retenir l’expression. Au printemps de 1851, Stockmar repartit pour l’Allemagne ; il y resta jusqu’à la fin de l’automne et put constater l’état général de l’opinion, un découragement mêlé de haines profondes, un désespoir momentané sous lequel couvait sourdement un âpre désir de représailles. Ses impressions se résumaient ainsi : « Nous devons renoncer pour longtemps à l’unité de l’Allemagne dans son ensemble ; la seule chose possible d’ici à bien des années, c’est l’union de l’Allemagne du Nord sous la direction de la Prusse. Cette union même ne pourra se faire par voie de négociations et de transactions pacifiques, il faudra que la force intervienne : la force seule mâchera de ses dents de fer ce nœud indissoluble. Les habitans des petits états se sont dégagés de tout attachement à leurs dynasties, ils ont désormais la pleine conscience de ce qu’il y a de misérable dans leur existence politique. Ce signe de honte et de dérision imprimé à notre peuple par l’étranger comme par ses propres souverains arrêtera chez lui tout essor, toute civilisation, le peuple deviendra sauvage, et par suite la détresse générale sera portée à son comble. On verra se produire alors ce qui est déjà si souvent arrivé : la suprême détresse enfantera l’homme et l’acte libérateur. »

Quel homme ? quel acte ? Lorsque Stockmar écrivait cette page, au mois de septembre 1851, il ne pouvait prévoir la venue du personnage puissant qui devait quinze ans plus tard expulser l’Autriche de la confédération germanique, et bientôt après donner l’empire d’Allemagne à la Prusse. La colère l’inspirait comme elle avait