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passant dans le cœur de tous l’empreinte de sa sainte vie et de sa sainte mort[1]. » Oui, on a tout dit sur la noble reine. En cette humble chapelle de Laeken où elle avait choisi son tombeau, dans l’imposante cérémonie de sainte Gudule, par les messages des grands pouvoirs publics comme par les manifestations populaires, l’affliction nationale a été singulièrement éloquente. Si vous voulez pourtant ajouter quelque chose à ces touchans témoignages, lisez la lettre que le prince Albert adressait au baron de Stockmar au lendemain de la fatale nouvelle :


« Le malheur que je redoutais et dont je vous exprimais l’appréhension dans ma lettre datée de Balmoral est arrivé ; voici notre pauvre oncle, pour la seconde fois de sa vie, seul et désolé dans le monde. Les récits des derniers momens de notre excellente tante sont extrêmement touchans, et prouvent combien cette noble nature, toujours prête à s’oublier, à se sacrifier elle-même, à ne vivre que pour les autres, est restée la même jusqu’au dernier soupir. Il serait bien inutile de vous parler de la grandeur d’une telle perte, car vous êtes mieux en mesure que moi de l’apprécier dans ses conséquences.

« La résignation de la pauvre reine Marie-Amélie est admirable ; l’affection et le respect que la Belgique témoigne à celle qui n’est plus est un spectacle plein d’encouragemens.

« Victoria est profondément affligée. Sa tante était sa seule confidente, sa seule amie. Le sexe, l’âge, l’éducation, les sentimens, le rang, tout les mettait si parfaitement sur le même pied, qu’un lien d’amitié spontanée se forma naturellement entre elles ; et c’était une amitié dont Victoria pouvait à bon droit être fière.

« J’espère que ce malheur ne vous aura pas découragé, qu’il vous stimulera au contraire à aider, à soutenir, à défendre les graves intérêts qui sont encore en suspens. Notre oncle aura besoin de vous avoir près de lui ; nous avons besoin de votre présence, de vos conseils, de votre amitié, en mille choses qui ont de l’importance, non-seulement pour nous, mais pour toute la famille, pour l’Angleterre, et, par elle, pour le monde entier.


Stockmar était digne de recevoir ces confidences. Malgré son peu de sympathie pour le roi Louis-Philippe, il avait toujours subi le charme de la reine des Belges. Les paroles les plus belles qu’ait inspirées cette figure idéale, c’est Stockmar, que dire de plus ? c’est le défiant Stockmar qui les a prononcées. Quelques semaines avant la mort de la reine, informé de la gravité de son état, il écrivait ces mots :

  1. Cet orateur était le R. P. Deschamps, de l’ordre des rédemptoristes, devenu depuis archevêque de Malines. Le père Deschamps était frère de M. Deschamps qui avait occupé avec distinction le ministère des affaires étrangères.