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celui qui l’a prononcé dans cette chambre avec un talent digne de son nom et de sa charge. » Il faut ajouter que le résultat de la lutte fut conforme aux vues de sir Robert ; 46 voix de majorité vinrent au secours de lord John Russell. Les voix les plus imposantes s’étaient unies pour donner à lord Palmerston un avertissement nécessaire, et cependant le ministère whig n’était pas renversé.

Ce rôle de Robert Peel, si bien soutenu jusqu’à la dernière heure, nous fait mieux comprendre l’émotion profonde que produisit sa mort. Les lettres de la reine et du prince, les notes de Bunsen, les confidences de Stockmar (nous ne citons que les documens de premier ordre), nous laissent comme une image auguste de ce véritable homme d’état. Stockmar l’a dit très justement : si le personnage le plus influent de la chambre des communes est le premier en Angleterre après le roi (et telle est bien la ferme conviction de tout sujet britannique), Robert, Peel, pendant les quinze dernières années de sa vie, a été le premier homme d’Angleterre, le premier citoyen du royaume, soit qu’il fût ministre, soit qu’il siégeât sur les bancs de l’opposition.

Il était plus encore que le premier Anglais de son temps ; on peut ajouter sans emphase qu’il avait place parmi les héros de la vie morale. Si l’on cherche dans le groupe des politiques de nos jours ceux qui ont montré les qualités les plus originales et rendu les plus grands services à leur pays, on a coutume de citer au premier rang sir Robert Peel, le comte de Cavour et le prince de Bismarck. Ce n’est pas à nous qu’il appartient de juger le prince de Bismarck, nos critiques seraient trop suspectes, et, soit qu’il y ait à louer, soit qu’il y ait à blâmer, la dignité nous impose le silence. Quant au comte de Cavour, notre admiration ne nous empêche pas de dire que, si la finesse italienne chez ce grand esprit a été toujours au service du patriotisme, la cause dont il était le champion exigeait trop d’efforts pour se prêter aux scrupules d’une conscience timorée. Au contraire, dans la carrière de Robert Peel, c’est le droit pur, c’est la pure morale qui a été constamment l’inspiration et la règle. Politique consommé, il s’est toujours montré rigoureux moraliste. Il possédait ces principes souverains sans lesquels les incidens de la vie politique sont de perpétuelles occasions d’erreur, et cette connaissance des détails sans laquelle les principes appliqués à faux égarent souvent la volonté la plus droite. Dans les petites choses comme dans les grandes, il avait horreur de toute atteinte à la vérité. C’est même de là que vient le seul défaut qu’on lui reproche, cette réserve excessive qui tenait les gens à distance, cette froideur apparente qui au premier abord semblait interdire l’amitié. Stockmar l’avait éprouvé très vivement au début de ses relations avec Robert Peel. C’était en 1819 ; en le voyant si défiant,