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parut chez nous une chose si extraordinaire, si exorbitante, une espèce de violence contre nature, les chefs whigs et tories l’avaient approuvé dès l’année 1848. Lord Aberdeen et sir Robert Peel, aussi bien que lord Palmerston et lord John Russell, s’en exprimaient franchement avec Bunsen. « C’est la première fois, disaient-ils, que le parlement de Francfort a montré un véritable esprit politique. » Ces maîtres experts voyaient bien que la passion de l’unité tenait trop au cœur des nations allemandes pour ne pas vaincre un jour tous les obstacles, et que, ce jour-là venu, la séparation de l’Autriche et de la Prusse serait du moins une garantie d’équilibre européen.

Dans ces notes de Stockmar sur les péripéties des affaires allemandes, ce qui domine, on le pense bien, ce sont les paroles de blâme. La pusillanimité du roi de Prusse, les témérités de l’assemblée nationale, les prétentions dominatrices du cabinet de Vienne, quels sujets de réflexions amères ! Il y a des jours où le désespoir le prend. C’est surtout le mysticisme de Frédéric-Guillaume qui l’impatiente et l’irrite. S’il essaie d’abord de lui donner des conseils, il ne tarde guère à y renoncer. Plus d’une fois, mandé par le souverain, qui veut reprendre la discussion, on le voit se dérober tout à coup. Où donc est le baron, l’ami du roi des Belges, le conseiller de la reine Victoria ? Frédéric-Guillaume lui avait donné rendez-vous au palais ce matin même. Qu’on cesse de chercher le baron ; il est parti de Berlin hier soir, il sera aujourd’hui à Bruxelles. C’est qu’entre Frédéric-Guillaume et Stockmar le débat est stérile ; il y a trop loin des combinaisons embrouillées du roi au programme simple et net du baron. Un jour, dans le premier mois de la crise, le 31 mars 1848, il écrit ces mots : « Le pauvre roi de Prusse a totalement déménagé. Il agit toujours quand il est trop tard, il parle quand il faudrait se taire… La confiance est perdue. Personne en Allemagne ne veut plus entendre parler de lui. On dit : Plutôt l’empereur d’Autriche ou le roi de Bavière ! » Deux ans après, quand les péripéties que nous venons de rappeler ont amené une confusion inextricable, le 29 juin 1850, il résume la situation en ces termes : « Ce qui s’est écroulé en Allemagne au mois de mars 1848 ne se relèvera pas sur les bases que la diplomatie toute seule a posées en 1814 et en 1815. Maintenir ou rétablir la souveraineté des états isolés d’après le système de 1814, cette souveraineté qui existait bien à l’intérieur, mais qui n’était à l’extérieur qu’une vaine apparence, cette souveraineté qui avait toujours besoin du protectorat d’une grande puissance, soit la France, soit l’Autriche, — je tiens cela pour absolument impossible. Le dualisme austro-prussien est chose tout aussi impraticable ; il faudrait anéantir d’abord le système constitutionnel, car ce dualisme aurait nécessairement