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forte originalité ce que la restauration a eu de meilleur, c’est le comte de Serre. Il y a un moment où l’homme et l’époque semblent se confondre, s’identifier dans une de ces crises qui décident de la fortune d’une monarchie par la fortune d’une politique.

La restauration a mal fini par sa faute. Depuis qu’elle n’est plus, elle s’est relevée moralement, elle a grandi dans la mémoire des hommes par la faute des régimes qui lui ont succédé, qui ont cru faire mieux qu’elle et qui n’ont pas duré plus qu’elle. Maintenant que les passions sont refroidies et que la scène a changé si souvent, ces quinze années, qui sont une partie de la jeunesse du siècle, retrouvent à la lumière de l’histoire un indéfinissable attrait. Elles ont l’intérêt d’une époque où s’est agité, dans des conditions qu’on croyait favorables, un problème qui a été repris bien des fois, qui n’est point encore résolu, le problème de la liberté réglée par les institutions parlementaires. Avant d’être la victime des fatalités qui l’ont perdue, la restauration a eu pour elle d’apparaître à l’origine comme la réconciliation possible de la vieille société et de la société nouvelle dans la France éprouvée et pacifiée. Elle a été, au lendemain des orages guerriers et des compressions de l’empire, une sorte de renaissance imprévue par l’éclat de l’esprit et la sève libérale, par la séduction et l’honneur des luttes publiques. Un jour, après bien des années et une révolution nouvelle, Tocqueville écrivait à Royer- Collard prenant sa retraite : « Vous représentez un autre temps que le nôtre, des sentimens plus hauts, une société, des idées plus grandes… C’est par l’époque de la restauration que vous marquerez. L’idée simple qui restera de vous est celle de l’homme qui a le plus sincèrement et le plus énergiquement voulu rapprocher l’un de l’autre et retenir ensemble le principe de la liberté moderne et celui de l’hérédité antique. La restauration n’est autre chose que l’histoire de cette entreprise. Quand toutes les idées secondaires auront disparu, celle-là seule restera[1]. » C’est en quelques mots l’histoire de la restauration, et, dans cette « entreprise, » si Royer-Collard est le philosophe, l’intelligence contemplative et critique, le comte de Serre est comme le héros de la fusion idéale de « l’hérédité antique » et de la « liberté moderne. »

Premier magistrat d’une cour de province, député dès 1815, président de la chambre en 1817, garde des sceaux en 1818, âme des conseils sous le général Dessoles, comme sous M. Decazes, comme sous le duc de Richelieu, athlète grandissant au feu des luttes de tribune, De Serre porte dans toutes les situations la même pensée, tantôt près d’être victorieuse, tantôt vaincue. Pendant quelques années, six ans tout au plus, il remplit la scène, combattant tour à

  1. Lettre d’octobre 1842. — Nouvelle Correspondance inédite d’Alexis de Tocqueville, 1 vol. in-8o.