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représentans ; on ne va pas plus loin pour le moment. En Transylvanie, les Szcklers, plus prompts à l’action, se laissent enrôler, et parmi ces rudes populations on trouve de quoi former des bandes armées qui ont été tout près de passer la frontière pour se jeter en Roumanie sur les communications des armées russes et roumaines. Il y aurait eu, dit-on, des membres du parlement hongrois compromis dans l’aventure, et on n’a pas manqué de chercher en tout cela « l’or anglais » ou les excitations révolutionnaires. Ce n’est qu’une échauffourée qui a pu être facilement déjouée : elle est le signe d’un certain danger ; elle montre aussi ce qu’il y a toujours de délicat, de critique dans la situation de l’Autriche-Hongrie, obligée de concilier tant d’intérêts divers et son rôle de puissance européenne dans les crises de l’Orient.

C’est le propre de toutes les guerres de toucher par bien des côtés aux plus délicats problèmes de droit international et de laisser un héritage de difficultés, de litiges, d’un intérêt très pratique, très sérieux, quoique souvent peu fait pour frapper l’imagination. La guerre de la sécession américaine, vieille déjà de quinze ans, a légué beaucoup de ces difficultés : la plus grave a été l’affaire de l’Alabama, qui a été l’objet du jugement arbitral de Genève ; c’est celle qui a fait le plus de bruit. Il y en a un autre qui remonte à la même époque, qui n’est point, assurément de nature à mettre la diplomatie en émoi et sur laquelle cependant ont dispute encore parce qu’au fond elle intéresse tous les commerces, toutes les marines. Il s’agit d’un fait et d’une théorie de droit maritime qui résulterait d’un arrêt rendu par un tribunal des prises américain. Le fait tout simple est la capture par un croiseur américain d’un navire anglais, le Springbok, allant de Londres à Nassau, dans le groupe des Bahamas. La théorie, assez extraordinaire et singulièrement grave pour tout le commerce, soulève cette question : un navire neutre allant d’un pont neutre à un port neutre peut-il être capturé en temps de guerre par un belligérant, sous prétexte qu’il n’aurait qu’une destination apparente et que sa cargaison, par un transbordement, pourrait être dirigée sur un port ennemi ? En d’autres termes, si l’on veut faire une application aux circonstances actuelles : un bâtiment allant de Calcutta à Londres pourrait-il, à la sortie du canal de Suez, être pris par un croiseur Turc parce qu’une partie de ses marchandises, à l’arrivée en Angleterre, pourrait être expédiée sur la Russie ? Un navire allant de New-York à Marseille pourrait-il être capturé par un croiseur russe parce qu’une partie de son chargement serait présumée devoir être transbordée en France pour reprendre le chemin de la Turquie ? C’est là justement, la question que les Américains ont tranchée un moment à propos du Springbok, en déclarant le navire de bonne prise, sous prétexte que la halte des marchandises à Nassau n’aurait été qu’une fiction, que la destination réelle était un port ennemi du sud. C’est ce qu’on appelle en termes de droit maritime « le voyage