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de l’Èbre des fermens de haine et de discorde. Quel intérêt peut avoir l’Espagne à une solution à l’amiable, tout le monde le comprend la situation du pays basque, sa topographie particulière, l’énergie indomptable de ses habitans, qui faisait dire au Grand-Capitaine, Gonzalve de Cordoue : « J’aimerais mieux être dompteur de lions qu’avoir charge de Vizcayens ; » leur unanimité pour tout ce qui touche aux fueros, jusqu’aux habitudes de révolte que deux guerres civiles si longues et si rapprochées ont contribué à répandre chez eux, tout commande à leur égard une politique de prudence et de tempérament. Certes on peut compter sur la sagesse de M. Canovas ; il a médité l’apologue du Père et ses enfans ; il ne cherche pas à rompre le faisceau d’un seul coup, mais brise les difficultés une à une. Au lieu d’imposer la loi sur-le-champ dans toute sa rigueur, il en a d’abord appliqué l’article principal relatif à la conscription et au service militaire ; aujourd’hui il lève la contribution du sel, demain il lèvera celle des tabacs, plus tard il exigera les impôts en tout comme en Espagne : le système est habile et à quelques chances de réussir, peut-être faudrait-il plus encore. Quand la révolution française entreprit de vaincre les résistances particularistes de la Bretagne et de la Vendée, et de leur imposer les mêmes lois qu’elle avait décrétées pour tout le pays, au moins leur apportait-elle un progrès : c’était le code régularisé, simplifié, une administration plus active, une justice plus prompte et plus sûre, des charges peut-être aussi lourdes, mais mieux équilibrées, une perception moins coûteuse, l’égalité pour tous remplaçant les privilèges et les abus d’autrefois. Est-ce bien le cas ici ? Personne n’ignore l’état de pénurie et de désordre auquel les fautes du passé et les imprudences du présent, le despotisme des rois, l’incurie des ministres, l’indolence du peuple, les exagérations des partis, l’obscurantisme du clergé, les pronunciamientos des généraux, ont réduit cette malheureuse Espagne et qui s’est étendu à tous les membres du corps national. Qui donc de gaîté de cœur voudrait accepter les conséquences d’une situation qu’il n’a point faite et, renonçant aux avantages que lui a procurés à lui-même son travail, sa bonne conduite, son économie, partager la misère et la vie d’expédiens d’un voisin paresseux, prodigue et fou ? Déjà en 1839 le comte de Ezpeleta s’écriait avec grande raison : « Comment allons-nous abandonner un système d’administration où le recouvrement des rentes publiques ne coûte que 2 pour 100, pour en adopter un autre où il monte à 50 ? » Depuis lors, les choses n’ont guère changé, et il ne s’agit pas seulement de la perception des impôts ; combien d’abus en tout genre qui attendent encore d’être réformes et dont les Basques étaient jusqu’ici à couvert ! Que l’Espagne moralise son administration, qu’elle renvoie aux champs ou