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cherchée plus haut. Race mystérieuse, l’Euskarien n’a point de frères parmi les autres peuples de l’Europe ; aussi distinct de l’Espagnol que du Français, il confine à l’un et à l’autre sans s’être jamais confondu avec eux ; il a pu voir peu à peu diminuer son influence et resserrer son territoire, mais il a toujours gardé avec sa belle langue harmonieuse et ses mœurs patriarcales la pureté de son sang. La différence d’origine, voilà vraiment ce qui a fait sa force, son audace. Aujourd’hui encore, si plusieurs là-bas, contrairement à l’idée que nous nous faisons nous-mêmes de la patrie moderne, semblent assez volontiers admettre la pensée d’une séparation, ne nous en étonnons pas trop. Que d’autres recherchent dans quelle mesure les Celtes, les Phéniciens, les Romains, les Goths, les Mores, ont modifié le fond ibérique des habitans de la péninsule jusqu’à former l’Espagnol actuel, pour sa part, à tort ou à raison, quoique né sur le même sol, l’Euskarien ne se croit pas Espagnol et ne veut pas l’être, et, malgré les alliances que les circonstances ou l’intérêt commun ont pu lui faire contracter avec ses voisins de Castille, il entend bien n’avoir pas abdiqué sa nationalité. Un jour, en plein sénat, M. de Egaña laissa échapper le mot, qui fut aussitôt relevé et qu’il se hâta de retirer ; en réalité il n’avait fait qu’exprimer une idée commune à ses compatriotes. Lors de la discussion sur la loi du 21 juin, faisant allusion à l’acte de la junte générale de Guernica par lequel en 1857 le prince impérial des Français avait été déclaré Vizcayen d’origine, M. Sanchez Silva reprochait aux Basques en raillant d’avoir osé de leur chef nationaliser Espagnol le fils de Napoléon III ; en effet, d’après son raisonnement, tout Vizcayen étant Espagnol, qu’avaient-ils fait en le reconnaissant Vizcayen que le nommer Espagnol ? Or M. Sanchez Silva se trompait : la junte de Guernica avait prétendu nommer le prince Vizcayen et rien que Vizcayen, et, si la distinction n’est pas bien claire pour un Espagnol, il semble que pour les Basques elle le soit très suffisamment.

Je n’ignore pas tout ce qu’on peut dire à l’encontre de ces opinions, et moi-même je les explique plus que je ne cherche à les défendre ; encore estimera-t-on que c’est montrer déjà trop de complaisance pour ces montagnards remuans et orgueilleux et se faire mal à propos l’écho de leurs revendications égoïstes ; mais j’en appelle à tous ceux qui ont pu les voir de près, les étudier. Est-il possible, quand on les connaît, de se défendre pour leur caractère d’un profond sentiment d’estime et de respect ? D’ailleurs, je le répète, au double point de vue légal et historique, leur droit parait indiscutable. Aujourd’hui on se refuse à l’admettre parce qu’ils ne sont ni plus nombreux ni plus forts ; mais qu’ils eussent seulement la même puissance matérielle que possède la Belgique, la