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paysans vivant sur les terres seigneuriales étaient tenus de payer au roi, en dehors de la rente qu’ils devaient au propriétaire, deux sortes d’impôts annuels, le semoyo et le bœuf de mars, l’un en nature et l’autre en argent. Toutefois l’alcabala s’introduisit aussi en Alava, sans doute à la même époque où Alphonse XI l’établissait en Castille ; mais comme le motif de cette mesure ne pouvait être plus patriotique, car il s’agissait d’en consacrer le produit à la guerre des Mores, et que la province venait de s’allier tout récemment et de son plein gré à la couronne, il est à croire qu’elle s’y prêta sans difficultés. Bref, dans les trois provinces, tout ce que les naturels sont tenus de payer consiste en quelques redevances fixes et parfaitement déterminées. A la vérité, en mainte occasion, elles ont accordé aux souverains des subsides extraordinaires et contribué autant qu’aucune autre aux charges de l’état ; mais ç’a été toujours à titre de don gracieux et volontaire, et jamais ces services n’ont pris le caractère de contribution permanente. En 1812, les cortès de Cadix ayant décrété l’abolition de toutes les redevances seigneuriales, le semoyo, le bœuf de mars, la taxe sur le fer et autres de même genre ont disparu du pays basque.

Par un privilège analogue, les trois provinces jouissaient de la liberté de commerce pleine et entière pour tous les objets de première nécessité, et cette exemption s’étendit successivement aux autres articles. En effet, bien que dans les ports basques, comme Bilbao et Saint-Sébastien, le seigneur perçût certains droits sur les marchandises importées de l’étranger, dans le reste des provinces la liberté des transactions était absolue, et les douanes étaient établies le long des rives de l’Èbre ou sur les points extrêmes confinant à la Castille. Les Basques furent toujours exempts de contributions indirectes, telles que l’impôt du sel, du tabac, des liqueurs, le papier timbré, les permis de chasse. La nécessité de prévenir les fraudes, qui pouvaient se commettre à la faveur de ces libertés, obligea souvent les monarques à prendre, de concert avec les autorités forales, d’énergiques mesures à l’égard de la contrebande ; mais en résumé on peut dire que le pays basque, jusque dans la sphère économique, se considérait vis-à-vis de la Castille comme un état complètement séparé, et cette situation exceptionnelle n’a disparu que devant la loi de 1841 qui a reculé les douanes à la frontière.

Telle est cette organisation spéciale des provinces basques, appropriée à leurs besoins et à leurs intérêts, léguée par la tradition, confirmée par les contrats les plus solennels et les plus sacrés. Ses principes fondamentaux sont : l’administration du pays par le pays, entendue dans le sens le plus large du mot, en dehors de toute immixtion étrangère ; la franchise de toute charge ou obligation qui semblerait attentatoire à la liberté et à l’égalité des