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démocratique. Il est vrai que les salaires sont assez élevés en Nouvelle-Zélande pour que les gens du peuple ne soient pas tentés d’y ajouter au détriment de leur fierté. Nous connaissons les salaires australiens, ceux de la Nouvelle-Zélande les dépassent. En Australie, un tondeur gagne par jour de 19 à 20 francs, un mineur gagne par semaine de 50 à 75 francs, et un berger gagne par an de 800 à 1,000 francs. En Nouvelle-Zélande, un tondeur gagne en moyenne 20 francs par jour, un mineur 100 francs par semaine, et un berger 2,000 francs par an ; mais rien n’est à comparer aux salaires des domestiques et surtout des servantes, qui sont le désespoir de toutes les maîtresses de station. Les gages d’une simple fille de service varient entre 700 et 900 francs, et ceux d’une cuisinière entre 900 et 1,000 francs, plus certaines franchises et immunités de genres divers, telles que le droit de suivre une école de chant en ville ou d’aller assister aux courses de chevaux en amazones, ou celui plus précieux de ne savoir faire quoi que ce soit de ce qui concerne leur service, et encore a-t-on grande difficulté à trouver à ce prix des aides féminins, si précieux par leur assiduité et leurs talens. La Nouvelle-Zélande est le paradis des servantes, nous dit M. Trollope et l’expression est vraiment d’une justesse irréprochable, étant donnés les détails qui nous sont fournis tant par lui que par lady Barker.

D’ordinaire une conclusion bien faite sur les sujets analogues à celui qui vient de nous occuper consiste à résumer en quelques traits saillans les faits détaillés de l’analyse, de manière à constituer le présent du pays étudié, et par ce présent à augurer de l’avenir ; mais ici il n’y a point d’avenir à augurer, car les faits interrogés aussi étroitement que possible nous donnent l’assurance qu’il sera semblable au présent. Si la nature nous accordait encore trente ans d’existence, et qu’au bout de ce temps il nous prît fantaisie de recommencer la longue tâche que nous venons d’achever, nous découvririons presque certainement que rien d’essentiel n’aurait changé durant cet intervalle. Au lieu de cinquante millions de moutons, nous en compterions probablement deux cents millions, au lieu de deux millions d’habitans, nous en compterions six ou sept, mais ce serait toujours au fond la même Australie que nous venons d’étudier et de décrire. Les colonies australiennes sont des pays heureux, destinés à l’être longtemps, et qui ne sont point pour démentir l’axiome si connu et si vrai de Montesquieu, que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. En auront-ils jamais une et échapperont-ils jamais à cette phase économique par laquelle ils ont débuté et dans laquelle ils sont obligés de persister pour leur bonheur ? Nous nous permettons parfois d’en douter. En tout cas,