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sont les Arewas, qui ont combattu aux côtés des Anglais pendant les guerres de 1864-65 avec une fidélité soutenue. C’est là ce que les colons appellent la politique de sucre et farine, sugar and flour policy, sobriquet qui qualifie assez bien les moyens par lesquels on cherche à réduire les Maoris en soumission. Cette politique est certainement de beaucoup la plus humaine, sinon la plus prompte en résultats, mais au fond que prouve-t-elle cependant, sinon que le gouvernement le plus rigide et le plus moral peut hésiter devant la force, même lorsqu’elle est révoltante et monstrueuse, à l’instar de cette injuste censure humaine qui, selon la définition du poète latin, accorde amnistie aux corbeaux et trouble la paix des colombes ?

Cette population remarquable n’a jamais été nombreuse ; à l’arrivée des Européens, les navigateurs l’estimèrent à 120,000 âmes ; aujourd’hui, après les guerres intérieures et les guerres coloniales, l’anthropophagie et le libertinage des filles aidant, elle est descendue, paraît-il, au-dessous de 40,000. Lorsqu’elle disparaîtra, et ce jour ne peut tarder, l’humanité aura réellement perdu quelque chose, car nulle parmi les races sauvages ne plaide d’une manière plus convaincante la cause de la noblesse native de l’homme, et ne donne plus entièrement raison à l’opinion des idéalistes sur la valeur morale de notre espèce. C’est justement que M. Trollope les compare aux highlanders de Walter Scott, mais cette comparaison, tout élogieuse qu’elle est, nous semble trop faible encore, et après avoir jeté un dernier regard sur l’ensemble des traits que les voyageurs nous présentent de leur nature, nous nous demandons vraiment en quoi leurs tribus n’auraient pas été dignes de marcher de compagnie avec les hordes d’heureux barbares qui jetèrent les assises de nos modernes civilisations et de partager leur fortune. Les Maoris ne sont ni moins vaillans ni moins fiers que nos barbares, nos barbares ne furent ni moins féroces ni moins fourbes que les Maoris.

Les guerres maories, aussi ruineuses que sanglantes, ont coûté à l’Angleterre plus de 12 millions sterling et sont entrées pour plus d’un quart dans l’énorme dette publique qui pèse aujourd’hui sûr la Nouvelle-Zélande. Par cette cruelle expérience, la jeune colonie a pu comprendre combien légitimes avaient été les longues hésitations du Colonial office, et combien surtout il fut heureux pour elle que le gouvernement anglais ait refusé de laisser à l’initiative privée l’entreprise colonisatrice. Où en serait-elle depuis longtemps, et où aurait-elle trouvé les ressources suffisantes pour payer sa sécurité, si la Grande-Bretagne ne l’avait pas couverte de sa puissante protection dans ces difficiles et dangereux commencemens ?