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Reprenons avec ferveur les coutumes de nos pères que nous commencions à abdiquer. Nos ennemis nous reprochaient l’anthropophagie, et nous avions presque cessé de la pratiquer, revenons-y avec énergie, et que les banquets de chair humaine soient le défi que notre barbarie jette à leur civilisation. Ils nous ont enseigné que l’union de l’homme et de la femme doit être éternelle, et qu’une femme ne doit appartenir qu’à un seul homme ; revenons à notre ancienne promiscuité, et que toute femme appartienne à tous. — Certes ce sont là d’odieux moyens de défense, mais le sentiment qui les a suscités va droit à son but avec une incontestable justesse, et si tout récemment M. Albert Réville amnistiait ici même le vieil Arverne Critognat d’avoir proposé l’anthropophagie aux Gaulois comme arme de résistance, ne pouvons-nous pas pour la même raison amnistier le patriote maori qui l’a remise en vogue dans la Nouvelle-Zélande ? Si la pensée est profonde, il va sans dire que le culte qui en est résulté est loin de la valoir. C’est une sorte de mormonisme maori dont le Joseph Smith inconnu semble avoir associé certaines légendes bibliques, apprises de la bouche des missionnaires, aux traditions néo-zélandaises, et dont les fidèles sont appelés Hau-Haus, par suite, nous dit M. Trollope, de la répétition fréquente de cette espèce d’aboiement non-seulement pendant les cérémonies religieuses, mais avant les engagemens des batailles et dans les ardeurs des mêlées. Il est probable que nous nous trouvons ici en présence de quelque chef maori initié au christianisme et renégat par patriotisme ; mais, quel qu’il soit, nous ne pouvons assez admirer la politique qui lui a dicté son invention, car c’est celle qu’ont invariablement suivie tous les défenseurs des vieilles religions menacées ou des sociétés chancelantes, celle que nous rencontrions naguère chez le jarl Hakon de Norvège dans sa lutte contre le christianisme, c’est-à-dire le retour violent aux vieilles formes de la religion ou de la société menacée, et la préférence donnée de parti pris aux plus choquantes et aux mieux faites pour effaroucher la raison et l’humanité, afin que le contraste n’en soit que plus profondément tranché et l’hostilité plus irréconciliable. Il va sans dire que cette recrudescence religieuse de l’anthropophagie n’a pas sauvé la barbarie néo-zélandaise, mais elle n’en est pas moins un des incidens les plus curieux et les plus propres à arrêter la réflexion que nous présente l’histoire morale de l’humanité à notre époque.

Il est encore un dernier moyen d’action politique dont les Maoris se servent, comme tous les barbares, avec une finesse consommée, c’est-à-dire la fourberie. Pendant cette guerre de 1861-65, les colons trouvèrent des alliés nombreux parmi les tribus qui n’avaient pas embrassé la faction du roi et la religion des Hau-Haus,