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Darling Downs, les mêmes causes de haine divisent sur l’étendue entière des deux îles les squatters et les free selecters en deux classes aussi difficilement conciliâmes qu’elles peuvent l’être dans les diverses colonies australiennes ; enfin la population y jouit librement de sa souveraineté, et ses assemblées y usent du droit de pousser la colonie dans la voie du progrès et de créer une dette publique énorme sans plus de ménagemens que les parlemens d’Adélaïde, de Melbourne ou de Sydney. Cependant, comme il faut, selon le point de la côte où l’on aborde, soit cinq, soit sept jours, pour aller d’un des ports australiens à la Nouvelle-Zélande, une telle distance permet de supposer bien des différences entre des terres aussi largement séparées, et en effet ces différences ont été et sont assez profondément tranchées pour constituer à la Nouvelle-Zélande une histoire à part, lui conserver une originalité marquée, et lui assurer un avenir propre devant lequel pourrait bien pâlir l’étoile jusqu’ici favorable qui préside aux destinées australiennes. Il y a longtemps que l’enlumineur Oderisi exprimait en vers magnifiques dans le Purgatoire de Dante combien rapide est le succès, et comment aucun effort n’est définitif, aussi puissant et heureux qu’il soit. Telle est la loi du progrès même aux antipodes, et c’est pourquoi l’Australie, à peine adulte encore, rencontre déjà une rivale redoutable dans la Nouvelle-Zélande dont les champs d’or sont plus opulens, les terres plus fertiles, les pâturages plus nourris, le climat plus tempéré, les moutons plus prolifiques et la constitution plus républicaine.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont été découvertes par deux fois, à plus d’un siècle de distance, par les mêmes navigateurs et presqu’aux mêmes heures, par Abel Tasman au XVIIe siècle et par Cook dans le dernier tiers du XVIIIe ; mais là s’arrête la ressemblance. On ne saurait trouver deux pays dont l’histoire et la colonisation aient été plus différentes. En 1770, Cook prit également possession de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande au nom de la couronne d’Angleterre, mais tandis que pour l’Australie cette prise de possession fut presque immédiatement suivie d’effet, pour la Nouvelle-Zélande elle attendit à peu près cinquante ans avant de recevoir un commencement d’application. La Nouvelle-Zélande a bien gagné quelque chose, à vrai dire, à cette longue indifférence, car elle lui a dû de n’avoir jamais eu de convicts, et de pouvoir se présenter devant le monde avec une population sans castes de parias ni tache originelle d’aucune sorte. Il est assez, curieux que le gouvernement anglais n’ait à aucun moment songé à faire de la Nouvelle-Zélande une colonie pénitentiaire, ni à l’origine, lorsqu’il était embarrassé pour déterminer l’emplacement des établissemens de cette nature, ni par la suite, lorsque la société australienne