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conséquences de leurs forfaits, ils négligent de les prendre ; tout entiers à leurs passions perverses, ils semblent peu soucieux de leur propre sûreté. Il n’est pas rare que les grands coupables annoncent leurs crimes par des menaces réitérées et significatives, adressées directement à la victime elle-même. « Tu refuses de me donner ces deux francs, dit l’un d’eux ; mais je t’arracherai le foie avant que tu sortes d’ici ; il faut que je tienne tes entrailles dans ma main, et cela ne tardera pas. » Quelques minutes après ces sinistres paroles, il revient avec un fusil qu’il décharge presqu’à bout portant sur l’objet de sa haine. Si les menaces de mort sont presque toujours suivies d’exécution, c’est qu’elles sont l’indice d’un caractère où les instincts de prudence sont trop faibles pour résister à l’impulsion d’une perversité congénitale.

Les criminels à qui manquent ces trois sortes de sentimens sont donc des fous d’une espèce particulière, car la folie n’est elle-même dans son essence que l’effet d’une tendance absurde ou immorale, devenue toute-puissante dans l’âme parce que rien ne la combat plus. Mais l’analogie, ou plutôt l’identité entre le crime et la folie devient, semble-t-il, plus évidente encore, si l’on considère que l’aliénation pathologique se manifeste chez les criminels dans une proportion beaucoup plus considérable que chez les autres individus. D’après le docteur Bruce Thomson, de Perth, le nombre des fous en Angleterre était évalué, en 1868, à 1 pour 411 habitans, et cette proportion monte, pour les détenus de la maison de Perth, à 1 sur 140 ; elle serait même, selon le docteur Lockart Robertson, qui, il est vrai, fait entrer dans son calcul les faibles d’esprit, les imbéciles, les épileptiques, que son confrère ne range pas parmi les aliénés, de 1 sur 47 pour les hommes, et de 1 sur 36 pour les femmes. Lélut, Ferrus, inclinent à croire que nombre de criminels seraient devenus, s’ils eussent vécu, de véritables aliénés. On sait que la Théroigne, l’une des plus effroyables tricoteuses de la révolution, est morte à la Salpêtrière.

Ainsi des criminels sortent souvent des aliénés ; inversement, des aliénés sortent souvent des criminels. Le docteur Morel en a cité de nombreux exemples. « Les individus nés de parens aliénés, dit-il, montrent dès leur enfance une grande irritabilité de caractère et une grande apathie, la tendance au vol, tantôt pour satisfaire l’ivrognerie, tantôt la débauche. Ceux qui avaient montré de l’intelligence au début se sont arrêtés, ils évitent la compagnie des gens comme il faut, ils recherchent celle des compagnons de débauche. Rien n’a pu agir sur ces natures, que nous sommes obligés à plaindre plutôt qu’à blâmer, car ils recèlent dans les fibres les plus cachées de l’organisme les germes de leurs fatales prédispositions héréditaires, dont ils sont victimes. Toutes les tentatives pour les