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détention dans un asile ; ce ne fut qu’après l’examen le plus scrupuleux que Marc, Esquirol et Ferras parvinrent à constater sa folie.

La colère, la peur surtout, peuvent être rangées parmi les passions dont l’exaltation subite, accompagnée d’une violente émotion de tout l’organisme, prend le libre arbitre à l’improviste et atténue, dans une large mesure, la responsabilité. Néanmoins, tout en tenant grand compte des dispositions innées de certains tempéramens qu’on pourrait appeler irascibles ou peureux, nous ne croyons pas que ces passions, considérées en elles-mêmes, puissent jamais prétendre à l’entière immunité qu’il est de toute justice d’accorder à la folie. Irrésistibles peut-être pendant l’accès, elles peuvent être combattues, soit avant, soit après, de telle sorte que l’accès devienne de moins en moins fréquent et se produise avec une force décroissante. Pour vaincre une passion, il ne s’agit pas d’attendre qu’elle éclate ; il faut s’y prendre de longue main, la surveiller, même quand elle semble dormir, l’exténuer peu à peu en fortifiant en soi-même des sentimens, des passions, des idées qui lui soient contraires, la réduire, en quelque sorte, par la famine, en l’éloignant de tous les objets qui l’alimentent. C’est tout un art qui exige une incessante pratique ; c’est une discipline à laquelle il faut se plier dès l’âge de raison et qu’on est tenu d’observer pendant toute la vie. Or la responsabilité, qui peut être nulle ou à peu près si l’on ne considère qu’un acte isolé, devient très lourde si cet acte est lui-même la conséquence d’un long abandon de soi-même à des passions dangereuses, à des habitudes perverses.

L’homme, en tant qu’il est raisonnable et que des conditions exceptionnelles ou pathologiques ne l’ont pas privé de son libre arbitre, n’est pas seulement responsable du mal qu’il commet : il l’est encore de n’avoir pas acquis longtemps à l’avance l’énergie nécessaire pour résister à l’impulsion passionnée ; il l’est de cette impulsion même, si, tout victorieux qu’il puisse être de la tentation, il a dépendu de lui de se faire une âme telle que la passion y fût plus modérée et que la tentation y trouvât moins d’accès. C’est là une vérité qui n’a d’autre inconvénient que d’être banale à force d’être vraie ; pourtant, on la méconnaît à chaque instant ; on isole dans la vie d’un homme l’acte particulier auquel la passion l’a entraîné, comme si cet acte ne tenait par aucun lien à tout un long passé. On analyse les circonstances qui l’ont déterminé immédiatement ; on y trouve une impulsion qui a tout l’air d’être irrésistible : on conclut que la responsabilité morale a disparu. On parait croire qu’une passion est une sorte d’agent mécanique, étranger à la personne raisonnable et libre, et dont la force motrice serait une quantité absolue, invariable, indépendante en soi ; on ne se demande pas si cette force n’a pas été, depuis nombre d’années, entretenue,