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dont l’existence nous paraît difficilement contestable. Il y a la maladie, lésion fonctionnelle, pour ainsi dire ; l’homme moral a été emporté dans la tempête d’un organisme en délire, et l’expression de folie en santé, que voudraient introduire certains aliénistes et qui les autorise à nier la responsabilité dans une foule de cas où le sens commun s’obstine à la reconnaître, nous semble, quant à nous, impliquer une véritable contradiction.


I

La folie, a-t-on dit, est un rêve éveillé. D’incontestables analogies rapprochent ces deux états, et peut-être doit-on expliquer par là, au moins en partie, ce fait que l’aliéné peut passer jusqu’à vingt et même quarante jours sans sommeil, tandis qu’un homme sain d’esprit succomberait bien avant ce terme ; les condamnés que les Chinois font périr par la privation de sommeil ne vont pas, paraît-il, au-delà de dix-huit jours, et ce supplice affreux, l’aliéné qui est au début de la maladie le supporte pendant plus longtemps encore sans en être sérieusement incommodé. Le fou, une fois guéri, n’a de l’état qui a précédé sa guérison qu’un souvenir confus, comme l’est celui du rêve chez un homme éveillé. — Mais, quelles que soient les ressemblances, et il serait superflu de les énumérer toutes, elles ne sauraient nous faire méconnaître les différences, qui se ramènent toutes à celle-ci : c’est que le sommeil est un état normal, dont le retour périodique est nécessaire au fonctionnement régulier de l’organisme, qui se produit et cesse en quelque sorte de lui-même ; la folie, au contraire, est une maladie accidentelle, difficilement guérissable, qui peut se prolonger pendant de longues années et se terminer par la mort.

Du sommeil au réveil, la transition, souvent brusque, peut cependant se manifester par un accès très court d’aliénation qui abolit momentanément la responsabilité. C’est du moins ce que déclarèrent les experts chargés d’examiner l’état mental d’un paysan silésien, Bernard Schimaidzig, qui, réveillé en sursaut par sa femme qui s’approchait de son lit, crut voir un fantôme, et d’un coup de hache fracassa le crâne de la malheureuse. Il fut admis que « le passage rapide d’un ordre d’idées à un autre peut propager une idée fantastique jusque dans le monde réel, c’est-à-dire la faire arriver, souvent même avec exaltation, de l’état du profond sommeil avec absence de sentiment, jusqu’à la sphère d’action de nos sens éveillés. » (Marc, de la Folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires, t. I, p. 74.) L’idée fantastique du rêve devient alors pendant les premiers instans du réveil une véritable hallucination. Mais ces cas sont fort rares, et le caractère