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le canal destiné à la décharge du lac ne descendait pas à la moitié de sa profondeur. On prit du temps pour creuser davantage, et, afin d’attirer de nouveau la multitude, on donna un combat de gladiateurs sur des ponts construits à ce dessein. Un repas fut même servi près du lieu où le lac devait se verser dans le canal, et devint l’occasion d’une terrible épouvante. Cette masse d’eau violemment élancée entraîna tout sur son passage, et ce qu’elle n’atteignit pas fut ébranlé par la secousse ou effrayé par le fracas et le bruit. Agrippine, profitant de la terreur du prince pour l’animer contre Narcisse, directeur de ces travaux, l’accusa de cupidité et de vol. Narcisse ne manqua pas d’accuser à son tour le caractère impérieux de cette femme et son ambition démesurée[1]. »

Voilà un très curieux récit, auquel par malheur manque une suffisante clarté. Que signifient ces expressions de l’historien romain : Incuria operis manifesta fuit… Eoque tempore interjecto altius effossi specus ? Il semblerait, à lire le traducteur, que l’émissaire tout entier, placé trop haut, dut être creusé davantage ; plusieurs l’ont décidément entendu de la sorte : interprétation inadmissible, car c’eût été un travail énorme d’abaisser le radier ou plancher du tunnel, et Tacite indique évidemment qu’un temps peu considérable dut suffire pour pratiquer entre les deux inaugurations le changement ordonné par Narcisse. La tradition, d’accord avec le texte, prétend que l’empereur resta pendant cet intervalle sur les bords du lac, habitant une villa située dans les environs du bourg actuel de Trasacco. De plus, l’inspection du tunnel faite avec tant de soin par M. Brisse atteste qu’il n’y a pas eu de retouches. Les expressions dont s’est servi Tacite sont assurément peu précises, mais les traducteurs n’ont pas cherché ou n’ont pas réussi à les comprendre, ce qui était à la vérité difficile sans l’aspect des lieux. Voici comment pourraient s’expliquer, ce semble, les circonstances auxquelles le récit de l’historien fait allusion.

Il va de soi qu’une masse d’eau telle que celle du lac Fucin ne pouvait s’écouler que progressivement, grâce à l’approfondissement successif du canal d’écoulement conduisant les eaux à la galerie souterraine. Lors de la première inauguration que Tacite vient de nous décrire d’une manière insuffisante, Narcisse put montrer à l’empereur le lac s’écoulant d’abord par le petit canal, puis dans le bassin hexagonal, puis, avec une chute de 5m,48, par le bassin trapézoîde jusque dans l’émissaire. Ses ennemis firent remarquer à l’empereur, bien à tort sans doute, que sa prise d’eau était établie à une faible profondeur, qu’une petite partie seulement des terres serait

  1. Annales, XII, 57-8.