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spécimen de la fortification antique, italiote ou romaine. C’est ce lieu qu’il faut visiter, le livre de Carlo Promis à la main[1], pour voir comment étaient pratiqués les préceptes d’Énée le tacticien, de Philon de Byzance et de Vitruve. C’est là qu’on peut s’instruire par de clairs exemples, encore aujourd’hui, de ce que c’étaient que les portes scées, fortifiées extérieurement d’une tour oblique placée au côté gauche (skaios en grec) : l’ennemi, gravissant la hauteur, laissait son côté droit, non muni du bouclier, à découvert. Aux énormes murs sinueux garnis de tours, aux galeries souterraines, œuvres des anciens habitans, les Romains ont ajouté, sur les flancs de la colline, une admirable triple enceinte ; un vaste agger, avec son fossé, défendait la campagne ; des églises chrétiennes ont remplacé, dans chacune des citadelles élevées sur les trois sommets, les temples de Jupiter, de Junon et de Minerve, qu’avaient peut-être précédés des autels consacrés aux dieux inconnus des populations primitives. Par sa situation sur la voie Valérienne, à l’issue de la vaste plaine des Champs Palentins, la seule qui offre une entrée facile vers le bassin lacustre, Albe était évidemment, surtout quand les eaux s’étendaient presque à ses pieds, la clé du pays et un excellent poste d’observation en même temps qu’une forteresse redoutable. Les Romains s’en servaient comme de prison d’état ; c’est là qu’ils enfermèrent Persée, le roi de Macédoine, et Bituit, le roi des Arvernes. On voit bien par ses ruines qu’elle a été pendant un temps riche et florissante : c’est d’Albe que sont venues au palais Colonna, dans Rome, où elles se voient encore aujourd’hui, les statues de Scipion et d’Annibal ; mais Charles d’Anjou dévasta un de ses plus beaux temples pour construire une église près du lieu de sa victoire sur Conradin de Souabe.

Si nous faisons le tour de l’ancien lac vers l’est et le sud, en plein pays marse, nous errons parmi des villes mortes qui paraissent avoir rempli un rôle historique dont nous retrouvons à grand’peine dans les textes quelques faibles vestiges. Telle est Marruvium, une ancienne capitale, dont les débris intéressans se retrouvent au village de San Benedetto. Fondée, disait-on, par un chef venu de Lydie, elle aurait été plus d’une fois engloutie par les eaux du Fucin. Une baisse considérable du lac a permis, en 1752, d’y faire des fouilles, qui ont donné, entre autres objets de valeur, les statues de Claude, d’Agrippine et de Néron, transportées alors au château de Caserte, et depuis au musée de Naples. Deux tours ou pyramides mutilées, ayant servi sans doute à des tombeaux, des restes de murs très étendus, un théâtre, des chapiteaux, des bas-reliefs, des sarcophages épars dans la campagne, et des inscriptions, à peu près

  1. Le antichità di Alba fucense negli Equi, in-8o ; Rome 1836.