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vallée du fleuve Liri ou Garigliano, qu’animent des usines fondées par une colonie française[1], par Arpino, la patrie de Marius et de Cicéron, par les cascades d’Isola, par l’île du Fibrène, où il est bien difficile de reconnaître l’emplacement de la maison du grand orateur. On a pour traverser les défilés de l’Apennin de belles routes, d’abord au milieu d’une série de vallées ouvertes, ensuite, à partir de Sora, le long de la vallée plus étroite du Liri, puis aux flancs des montagnes qui, non loin et à l’est des sources du fleuve, forment le mur occidental de l’ancien lac Fucin. Peu à peu l’altitude et le climat ont changé : on s’est élevé à 700 mètres environ au-dessus du niveau de la mer ; aux vastes et majestueux horizons de la campagne romaine, à la rigide âpreté des monts Volsques, ont succédé les fertiles campagnes de la terre de Labour, les ravins et les torrens vers le haut Liri, les villages fortifiés sur la pointe des rochers nus, et enfin, dans le bassin même du lac, les sommets de toutes parts sillonnés par les traces persistantes des neiges. Les chaleurs étouffantes et dangereuses de la plaine ont fait place à l’air pur et vif des hautes vallées. On reconnaît les scènes tourmentées et lumineuses, ardentes et sévères, qu’a reproduites Salvator Rosa ; on est au cœur de ce pays d’Abruzze que les guerres privées du moyen âge, les querelles entre les Orsini et les Colonna, puis le brigandage, jusqu’à une époque toute voisine de la nôtre, ont cruellement ravagé. C’était aussi, dans les temps anciens, le séjour d’un de ces petits peuples qui se sont fait redouter de Rome elle-même, et qui, ont été, comme dit Florus, la pierre à aiguiser de son courage et de ses vertus militaires.

Les Marses n’avaient-ils pas été précédés ici par des colonies pélasgiques, dont plusieurs constructions cyclopéennes encore visibles et certains objets de bronze d’un travail primitif trouvés dans le sol attesteraient le passage[2] ? Ce qui parait assuré, c’est que, comme le reste de la race sabellique, à laquelle ils appartenaient, comme les Péligniens, les Marrucins et les Vestins, les Marses étaient établis au centre de la presqu’île italienne dès avant la naissance de l’état romain. Si nous ne retrouvons plus aujourd’hui que de bien faibles vestiges de leur civilisation propre et de leur langue, nous recueillons du moins les nombreux témoignages des craintes qu’ils inspiraient. C’est de leurs rangs que Virgile fait partir un puissant chef, Umbro, pour s’opposer avec Turnus à l’invasion d’Énée et des troyens. Leur intrépidité et leur audace sont partout vantées. Chez eux, la mère n’accorde aux enfans le repas de chaque

  1. Les papeteries de M. le comte Lefèvre, de M. Rœssinger, etc.
  2. Voyez à ce sujet le mémoire du regretté comte Conestabile, de Pérouse, que la science vient de perdre, Sovra due dischi in bronzo antico-italici… Mémoires de l’Académie de Turin, série 2, t. XXVIII.