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L’apparition de ces questions constituent-elle un danger pour la société américaine ? Le New-York Herald, en répondant aux appréciations de la presse anglaise et aux conclusions que celle-ci prétendait tirer des émeutes de Baltimore et de Pittsburg, a surtout insisté sur ce fait, qu’à la différence de ce qui se passe en Europe il n’existe aux États-Unis aucun parti qui poursuive un changement de gouvernement et qui ait intérêt à porter atteinte aux institutions existantes. Il fait valoir les perspectives d’avenir que la colonisation de l’ouest ouvre devant les hommes mécontens de leur sort, et désireux d’arriver à l’indépendance. Que le Herald ne soit point trop prompt à se rassurer, il suffit de voir avec quelle prodigieuse rapidité s’accroît la population des villes américaines, pour se convaincre que l’ouest ne joue point à leur égard ce rôle d’exutoire bienfaisant destiné à absorber et à transformer tous les élémens dangereux. Les ouvriers assez économes et assez laborieux pour amasser le capital nécessaire à un petit établissement et assez courageux pour aller défricher les prairies ne sauraient être un danger pour aucune société ; mais les irréguliers, les paresseux, les débauchés n’émigrent jamais, redoutant moins les souffrances du chômage que les privations et le rude labeur qui attendent le colon. La proportion des mauvais élémens va donc en croissant dans les villes industrielles et dans les grands centres. Il est incontestable qu’à raison de l’accord des opinions sur cette question, la forme républicaine du gouvernement ne saurait courir aucun péril : ce qui est menacé aux États-Unis, c’est la tranquillité de la rue, c’est la liberté des transactions, c’est, comme l’a prédit Macaulay, la sécurité de la propriété.

Il est facile de faire comprendre comment le danger se produira. Un groupe de citoyens résolus a sauvé la ville de Scranton de l’incendie et du pillage en tirant sur un rassemblement qui avait roué de coups les agens de la police et presque assommé le maire. L’enquête ordonnée par la loi a été ouverte sur le corps des émeutiers qui avaient été tués ; l’alderman qui présidait le jury vise à la mairie, et dans l’espoir d’assurer le succès de sa candidature, il a fait rendre un verdict de meurtre avec préméditation contre les citoyens qui avaient prêté main-forte au shérif. Sans la présence des troupes fédérales, il les faisait arrêter par des volontaires qui s’offraient pour cet office, c’est-à-dire qu’il les aurait livrés aux émeutiers qu’ils avaient dispersés deux jours auparavant. Les citoyens atteints par ce verdict ont dû se rendre sous escorte devant le juge du comté, qui les a admis immédiatement à fournir caution ; mais ils devront comparaître aux assises. Il est probable que ce procès n’aura pour eux aucune suite fâcheuse ; mais que serait-il arrivé, si le juge avait été, comme le shérif d’Indianapolis, un membre ou une