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désespoir, pour faire voir leur haine de la tyrannie et donner la mesure de leur force. » La conclusion de l’orateur ne fut pas moins applaudie : « Il faut, dit-il, que les travailleurs comprennent la nécessité d’une action commune en politique ; il faut qu’ils se séparent des républicains et des démocrates, qui sont d’accord pour les opprimer ; il faut qu’ils désignent et qu’ils élisent aux fonctions publiques des hommes pris dans leurs rangs. S’ils savent le faire, ils auront raison de leurs oppresseurs ; ils feront prévaloir un régime nouveau. Quant aux soldats, si cela devient nécessaire, les travailleurs sauront organiser des régimens pour balayer de l’existence les hommes qui oseraient faire feu sur eux. » A la suite de ce discours, l’assemblée vota par acclamation le programme de l’Internationale, à savoir la reprise par l’état des chemins de fer, des canaux, des télégraphes et des métiers à vapeur, et leur exploitation par des associations ouvrières sous la protection du gouvernement fédéral, l’établissement par le gouvernement fédéral et les gouvernemens locaux de bureaux d’organisation du travail, l’abolition du salariat, et le partage égal des profits entre le travail et le capital. Des délégués furent nommés sur place pour recevoir les adhésions et choisir les candidats qui devraient être appuyés aux élections de l’automne.

La même propagande se poursuivait avec le même succès à Philadelphie et dans les autres villes de la Pensylvanie. A Scranton, des avocats ont accepté le programme socialiste dans l’espoir de se faire élire aux fonctions judiciaires par le suffrage des mineurs. Les élections municipales et législatives ont eu lieu dans le Kentucky au commencement d’août. Les murs de Louisville se couvrirent d’affiches qui prêchaient la revanche du travail sur le capital, et les citoyens les plus considérables de la ville échouèrent devant des candidats ouvriers, par suite de l’entente qui s’établit entre le comité du parti des travailleurs et le comité républicain. Des candidatures socialistes se sont également produites dans l’Ohio et dans l’Illinois, en vue des prochaines élections.

Un des défauts des institutions américaines, qui est la conséquence fatale de l’application du système électif à toutes les fonctions publiques, c’est qu’il ne peut naître, sous l’influence des événemens ou d’un mouvement d’opinion, une force électorale sans que les partis cherchent à se l’attacher par des compromis ou des sacrifices de principes. Ceux qui s’alliaient aux free-soilers pouvaient alléguer qu’ils se rattachaient à une idée généreuse, mais n’a-t-on pas vu les partis américains sacrifier le droit de propriété avec les anti-renters, l’égalité religieuse avec les know-nothing, l’égalité politique avec les natifs Américains, la liberté des transactions avec les grangers. Les rancunes du commerce contre les compagnies de