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successivement ; une heure après le meeting, tous les miliciens étaient renvoyés chez eux, et le calme le plus parfait régnait dans les rues.

Ainsi s’évanouit le péril qui préoccupait toute la confédération. L’échec de l’Internationale à New-York, dont le télégraphe porta partout la nouvelle, fut considéré avec raison comme un pas important vers le rétablissement de l’ordre. Le gouverneur de l’état avait appelé sous les armes tous les miliciens : rassurés sur la tranquillité publique, les maires de New-York et de Brooklyn ne firent plus d’objections au départ des régimens locaux : il fut facile de concentrer plusieurs régimens à Hornelsville, à Buffalo, à Albany. Intimidés par ce déploiement de forces, et par l’arrestation de Donahue et de quelques autres de leurs chefs, les grévistes n’osèrent plus mettre obstacle à la réorganisation du service, et la plupart préférèrent reprendre leurs fonctions que de se laisser remplacer. Le rétablissement de la circulation sur l’Érié rendait inutile le maintien de la grève sur le New-York-Central, dont les agens revinrent avec joie à leur poste. Quarante-huit heures après le meeting de Tompkins-Square, les communications de New-York avec l’ouest étaient rétablies, et la poste distribuait dans cette ville, en un seul jour, 300,000 lettres arriérées.

Dans plusieurs états, le remède, comme il arrive souvent, sortit de l’excès du mal : les habitans des grandes villes ne se résignèrent pas longtemps au blocus commercial et au régime de terreur auxquels ils étaient condamnés par une poignée d’émeutiers. La défaillance de l’autorité leur donnait le droit de se protéger eux-mêmes. A Saint-Louis du Missouri, sur l’initiative de quelques personnes notables, les commerçans se réunirent, s’armèrent et s’organisèrent en compagnies. Ils se saisirent des principaux chefs de l’émeute, parmi lesquels se trouvèrent quatre membres de l’Internationale, l’Allemand Vischer, le Danois Loffgreen, Allen, le secrétaire du comité local, et Cuhrinn, délégué de l’Internationale européenne, qui avait télégraphié à Leipzig, le 26 juillet : « Saint-Louis, ville de 500,000 âmes, est à nous. » A la suite de ces arrestations, les rassemblemens furent dispersés de vive force, et des patrouilles de jour et de nuit furent organisées pour les empêcher de se reformer. Le gouverneur de l’Ohio, ayant obtenu du président de disposer des armes contenues dans l’arsenal fédéral de Columbus, fit distribuer des fusils aux principaux habitans de Columbus, de Cincinnati et de quelques autres localités où l’ordre fut rétabli par cette milice improvisée. A Pittsburg même, le calme fut ramené dans la rue par l’intervention des citoyens, alarmés des dangers qu’ils couraient, et exaspérés par les responsabilités financières que les incendies faisaient peser sur la ville. Ils s’armèrent et se réunirent pour protéger les propriétés menacées, organisèrent des patrouilles