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faubourgs. Pendant qu’une partie des émeutiers s’élançaient à leur poursuite, d’autres bandes se précipitaient pour aller leur barrer le chemin : il fallait de temps en temps s’ouvrir passage par le feu des mitrailleuses.

Parvenus à l’arsenal fédéral, les miliciens en trouvèrent les portes fermées. Le commandant refusa de les laisser entrer, alléguant qu’il n’avait qu’une vingtaine d’hommes avec lui et craignait de ne pouvoir protéger contre l’émeute l’arsenal, qui était rempli d’armes et de projectiles : il consentit seulement à recevoir les blessés, qu’il fit soigner à l’infirmerie. Les malheureux miliciens prirent alors le chemin du cimetière, toujours poursuivis par les émeutiers et faisant tête lorsqu’ils étaient serrés de trop près : le chemin qu’ils avaient suivi était marqué par les cadavres. Ils essayèrent de tenir dans le cimetière, mais, craignant d’y être cernés, ils continuèrent leur retraite jusqu’au pont établi sur la rivière Alleghany, et qui mène à Sharpsburg : là, les émeutiers, perdant l’espoir de les envelopper, abandonnèrent la poursuite. Franchissant alors la rivière, les miliciens gagnèrent les hauteurs de Claremont, à huit milles de Pittsburg, et bivouaquèrent dans un bois où les cultivateurs du voisinage leur apportèrent quelques alimens. Après une nuit passée dans des transes continuelles, épuisés de fatigue, glacés de froid et dénués de tout, ils se dispersèrent, cherchant les uns un port sur la rivière, les autres une station de chemin de fer pour regagner leurs foyers.

Les émeutiers, après leur victoire, étaient redescendus vers la gare. La rotonde et les ateliers adjacens brûlaient toujours ; quarante-cinq locomotives y furent détruites ; mais ce n’était là qu’un faible prélude des scènes de dévastation qui devaient marquer cette journée. Des multitudes d’hommes, de femmes et d’enfans avaient envahi la gare des marchandises, où toutes les voies étaient occupées par de longues files de wagons chargés. On forçait, on faisait voler en éclats les portières des wagons, on se distribuait ce qu’ils contenaient, et, quand ils étaient vides, on les amenait alimenter l’incendie. Au milieu de cette foule, ivre de whiskey et enflammée par la cupidité, l’évêque catholique, monté sur une locomotive et le visage noirci par la fumée, la barbe et les vêtemens couverts de cendres, ruisselant de sueur, s’épuisait en efforts pour arrêter le pillage, adjurant les catholiques qui pouvaient se trouver dans la foule d’écouter sa voix et de ne pas profaner le jour du Seigneur par des actes criminels. On l’enleva de vive force, et on l’emmena loin de cette scène de désordre, de peur qu’il ne lui fût fait un mauvais parti. Le pillage dura tout le reste du jour. Les halles aux marchandises furent incendiées après avoir été vidées : le feu fut mis ensuite aux remises du matériel, aux bureaux de la compagnie,