Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/776

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajoutaient-ils, tireriez-vous sur nous ? nous n’avons fait de mal à personne ! » En réalité, la milice était prisonnière. Désireux de la dégager et d’assurer force à la loi, le gouverneur appela sous les armes de nouvelles compagnies de miliciens ; mais, avant même qu’elles eussent pu se réunir, le mouvement avait pris une extension redoutable. Partout les sections de l’Internationale et les comités des associations ouvrières poussaient les ouvriers à se mettre en grève, à se joindre aux grévistes et à les seconder dans leur lutte contre l’autorité civile. A Columbus, un rassemblement armé se présenta successivement dans les divers laminoirs et devant les autres usines de la ville, enjoignant aux ouvriers de quitter immédiatement les ateliers, sous peine d’y voir mettre le feu, et de se rendre à la gare centrale. Plus de 2,000 hommes se trouvèrent bientôt réunis à la gare, prirent possession des bâtimens et des voies, et rendirent impossible toute tentative de faire passer un train. Les diverses compagnies de chemins de fer dont les lignes aboutissent à Columbus crurent devoir par mesure de prudence faire rentrer le matériel dans les remises et faire fermer leurs dépôts et leurs ateliers. La singulière dépêche suivante fut expédiée de la capitale de l’Ohio aux journaux de New-York : « Aucun acte de violence n’est à redouter, les grévistes étant absolument maîtres de la ville. » à Zanesville, toutes les manufactures furent également fermées de gré ou de force : on fit suspendre jusqu’au service des tramways. Là encore le triomphe de l’émeute était complet, et les dépêches exprimaient l’espérance que, malgré l’interruption de tout travail, on n’aurait pas de désordres trop graves à déplorer. A Cincinnati, les employés de la compagnie Ohio et Mississipi s’étaient rendus maîtres de la gare située dans un faubourg : ils ne laissaient entrer ou sortir aucun train ; mais le service continuait sur les lignes de la compagnie de Lake Shore et de la compagnie du Michigan méridional, dont les ouvriers ne voulaient pas faire grève. Les grévistes leur intimèrent l’ordre de rentrer les locomotives dans la rotonde, de décomposer les trains et de remiser les voitures. Défense fut faite dans les dépôts de toutes les compagnies de recevoir aucune marchandise d’aucune sorte pour n’importe quelle destination. Une ville de plus de 200,000 âmes laissait ainsi mettre son commerce en interdit et interrompre ses communications avec le reste de la confédération. Réduit à une complète impuissance, le gouverneur de l’Ohio se vit obligé, comme les gouverneurs de la Virginie occidentale et du Maryland, de s’adresser au président des États-Unis et de requérir l’assistance fédérale. Dans une situation plus difficile encore, et en présence de faits plus graves, le gouverneur de la Pensylvanie subissait la même nécessité.