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est donc un attentat au droit individuel et à la liberté du travail. C’est ce que le maire de Grafton était obligé de rappeler aux ouvriers du Baltimore et Ohio dans une proclamation du 18 juillet : « il est venu à ma connaissance, disait-il, que certaines personnes de cette ville, par des menaces, par l’intimidation, et, en plusieurs cas, par des voies de fait, empêchent certains autres citoyens d’exercer leur profession ordinaire, et interviennent ainsi dans les amures privées des citoyens bien disposés ; je somme toutes ces personnes de renoncer à leurs menaces, sous peine d’encourir toutes les rigueurs de la loi. » Il n’était pas permis davantage aux agens des chemins de fer de mettre obstacle à la circulation des trains, de se saisir du matériel des compagnies, de retirer les boulons, les clavettes et les barres de transmission des locomotives pour en rendre le fonctionnement impossible : c’étaient là autant d’attentats contre la propriété. Enfin, les grévistes, en considérant leur grève comme un duel entre eux et la compagnie à laquelle ils appartenaient, perdaient complètement de vue les droits et les intérêts des tiers que nul n’est autorisé à léser dans la poursuite de sa satisfaction personnelle. Il leur échappait qu’une différence profonde sépare le chômage d’un établissement ou même d’une profession, qui se traduit par une gêne locale, et l’interruption de la circulation des chemins de fer et des services publics dont ils sont l’instrument, et dont la suspension affecte les intérêts de la communauté tout entière. Ce sont les considérations que le juge Drummond, président du tribunal fédéral du district d’Indiana, a fait valoir en condamnant à trois mois d’emprisonnement quinze des grévistes arrêtés à Indianapolis.

« Tout homme, disait-il, a le droit de laisser là sa besogne, s’il n’est pas satisfait du salaire qu’il reçoit, mais on n’a pas le droit de se coaliser et de produire une grève parmi les employés de chemins de fer, de façon à empêcher la circulation des trains, parce qu’il y a là quelque chose qui affecte la Communauté tout entière, il y a un tort porté à cette communauté, et une interruption des affaires du pays. Cela est surtout vrai des employés de chemins de fer, parce qu’ici le préjudice causé est un préjudice public qui atteint le pays tout entier et non pas seulement une commune en particulier ou un certain rayon… Peut-être un de ces trains dont vous avez empêché le départ portait-il de l’argent ou des valeurs destinés à préserver d’un sacrifice, la ferme ou la maison d’un citoyen ; peut-être un des voyageurs était-il appelé au chevet d’une femme, d’un fils ou d’une fille expirante. Mille autres cas qui pouvaient se produire suffisent à montrer quelle atteinte vous avez portée à tout ce que les citoyens de ce pays tiennent pour précieux et sacré, sans