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énorme fit voler en éclats la fenêtre de sa chambre. En présence de pareils faits et privé de tout moyen d’action, M. Matthews ne put que s’adresser au président des États-Unis et réclamer l’assistance fédérale, en se déclarant, conformément aux termes de la constitution, dans l’impuissance de maintenir l’ordre à l’intérieur de la Virginie occidentale.

Le président ne se trouva guère moins embarrassé que le gouverneur. L’armée fédérale, disséminée sur un territoire immense, ne compte pas actuellement plus de 18,000 à 20,000 hommes. Plusieurs régimens étaient engagés dans les Montagnes-Noires à la poursuite des Sioux ; les autres étaient répartis sur les frontières et dans les forteresses qui protègent les côtes. Le président n’avait sous la main, à Washington, que 250 hommes, et il pouvait n’être pas sans inquiétude pour la tranquillité de la capitale, car des émissaires y étaient arrivés pour pousser à une grève générale non-seulement les agens de la ligne du Potomac, mais divers corps de métiers. Le conseil général de l’association ouvrière qui s’intitule la Ligue du travail se réunissait, ce jour même, à Washington et publiait une circulaire aux membres de l’association pour les inviter et inviter tous les ouvriers à fermer l’oreille aux excitations des agens de désordre qui parcouraient le pays en prêchant les grèves et la violence. Cet avis seul suffisait à dénoncer l’existence du danger. Néanmoins le président n’hésita pas : il plaça les 250 hommes de la garnison sous les ordres du général French, les renforça de 150 hommes empruntés à la garnison du fort Mac-Henry, à l’embouchure de la baie de Chesapeake, et fit partir ces 400 hommes pour Martinsburg avec une proclamation invitant les émeutiers à rentrer dans l’ordre.

Le général French arriva à Martinsburg dans la matinée du 19 juillet : depuis quarante-huit heures, la ville était au pouvoir des grévistes et de leurs alliés. D’accord avec les autorités municipales et avec les administrateurs de la compagnie, il s’arrêta à l’entrée de la ville, fit imprimer la proclamation du président, la fit afficher, distribuer, et attendit jusqu’au soir l’effet qu’elle produirait. Les émeutiers tenaient bon : aussi dès la pointe du jour le général marcha sur la gare, l’occupa sans résistance, malgré les barricades qu’on avait élevées, et la fit évacuer. Les émeutiers huèrent les troupes fédérales et leur lancèrent quelques pierres ; mais ils n’osèrent pas engager le combat. Ils n’avaient d’autres armes à feu que des pistolets et des revolvers, et le bruit s’était répandu que le général French attendait des renforts et de l’artillerie. La lutte était matériellement impossible ; c’était d’ailleurs chose trop grave que de se mettre en révolte contre l’autorité fédérale. Les trains furent préparés : les grévistes se bornèrent à huer et à