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une armée nécessairement un peu ébranlée, sinon (démoralisée par une série de désastres.

Si le tsarévitch, qui commande l’aile gauche sur la ligne de Biela, est moins éprouvé, il ne laisse pas, lui aussi, d’être réduit à une défensive assez ingrate. Méhémet-Ali, qu’il a contre lui, n’est pas resté inactif de son côté. Depuis qu’il est sorti de son camp de Choumla, le nouveau général Turc manœuvre avec adresse. On a parlé récemment d’une grande bataille gagnée ou perdue par lui. Il n’est point impossible qu’il ne soit forcé un jour ou l’autre à accepter une bataille de ce genre : il ne la recherche pas visiblement, il semblerait l’éviter au contraire. Il marche avec méthode, avec sûreté, sans rien risquer, se ménageant une retraite, même quand il avance, ayant assez souvent des affaires partielles plutôt qu’une bataille à fond. Il a réussi par cette tactique à dégager Roustchouk, à rejeter le tsarévitch des lignes du Lom sur la Yantra autour de Biela, menaçant ses communications, soulageant par ses diversions Osman-Pacha, et, dans tous les cas, occupant assez les Russes pour les empêcher de disposer de leurs forces. Entre Osman-Pacha et Méhémet-Ali, il y a accord d’action, appui mutuel. Jusqu’à quel point Suleyman-Pacha, engagé dans les Balkans, concourt-il à ce système ? Depuis plus d’un mois, il s’acharne à la plus étrange et à la plus terrible des guerres sur cette passe de Chipka, où il a trouvé des adversaires aussi obstinés que lui. Il a livré des combats de géans, et assurément il serre de près les Russes, mais au prix des pertes les plus graves, en arrosant ces rochers de sang. Est-ce une obstination soldatesque ? y a-t-il un calcul dans cet assaut renouvelé jusqu’à extinction ? Suleyman-Pacha n’a peut-être d’autre but que de retenir, d’épuiser une partie des troupes du grand-duc. Ce qu’il y a de clair, c’est que sur ces divers points les Russes ont de rudes affaires. Ce qui n’est pas moins certain, c’est que partout, au col de Chipka comme autour de Plevna, il y a entre ces armées une sorte d’émulation de courage et d’opiniâtreté. Les uns et les autres meurent avec héroïsme pour leur drapeau. Certes les traits d’intrépidité et de dévoûment ne manquent pas dans cette armée russe, et pourtant rien ne réussit.

Chose douloureuse, on s’est flatté, en prenant les armes, d’aller affranchir la Bulgarie, les chrétiens d’Orient, et provisoirement à quoi aboutit-on ? La Bulgarie commence par être transformée en champ de carnage ; c’est un vaste cimetière ! Les Bulgares sont les premières victimes de la guerre ; avant d’être émancipés, ils sont ruinés ou massacrés. Les Roumains se sont engagés à la suite de la Russie, ils se sont vaillamment conduits, ils ont éprouvé déjà des pertes relativement sérieuses pour leur petite armée, et ils en sont peut-être, sans l’avouer, à regretter leur intervention. Les Serbes, entraînés une première fois et une première fois vaincus, ont pu être tentés de reprendre les armes, ils