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L’embarras en effet est de choisir dans ce manifeste, de concilier les diverses parties de ce programme adressé à tous les « Français, » de distinguer quelle est réellement cette pensée, d’où elle vient, où elle va, où elle entend s’arrêter. Assurément, il y a dans la proclamation du 19 septembre une partie simple, correcte, qui maintient dans son intégrité et sauvegarde le rôle légal du chef de l’état M. le maréchal de Mac-Mahon parle sérieusement quand il affirme qu’il ne veut « exercer aucune pression sur le choix » des électeurs. Il ne dit que ce qu’il pense lorsqu’il ajoute : « On vous dit que je veux renverser la république, vous ne le croirez pas. — La constitution est confiée à ma garde, je la ferai respecter… » M. le président de la république n’est pas moins sincère en assurant qu’il ne veut servir a aucun parti, aucune passion révolutionnaire ou rétrograde. » Il est certain de répondre à un sentiment universel en témoignant l’intention d’entretenir « des relations de plus en plus cordiales avec toutes les puissances, » de maintenir la paix, et M. le ministre des affaires étrangères n’a fait qu’accentuer heureusement cette pensée l’autre jour dans la Gironde en revendiquant le rôle de « ministre de la paix. » S’il n’y avait que cela dans la proclamation du 19 septembre, ce serait au mieux ; mais, à part la politique extérieure qui est en dehors des élections d’aujourd’hui, parce que tout le monde est d’accord, que reste-t-il dans la réalité des autres déclarations ? C’est là qu’est l’équivoque obstinée.

Aucune pression ne doit être exercée sur le choix des électeurs, dit le manifeste, et au même instant une des inventions les plus étranges de l’empire, celle contre laquelle ont protesté autrefois M. le duc de Broglie, M. le duc d’Audiffret-Pasquier et bien d’autres, la candidature officielle est publiquement remise en honneur, naïvement avouée ! On est « candidat du gouvernement de M. le maréchal de Mac-Mahon » sur papier officiel affiché dans les mairies ! Sous l’autorité ministérielle, toute la hiérarchie des fonctionnaires est mise en réquisition et sommée de prêter main-forte aux préfets chargés de faire triompher les candidats « désignés. » Que tout le monde marche sans crainte, on n’abandonnera pas « les fonctionnaires fidèles qui, dans un moment difficile, ne se sont pas laissé intimider par de vaines menaces ! » Franchement, si ce n’est pas l’empire lui-même vivant et agissant, c’est bien du moins une ombre d’empire, un empire posthume.

M. le président de la république entend respecter et faire respecter la constitution confiée à sa garde, il n’a fait qu’exercer une prérogative constitutionnelle par la dissolution de la chambre, soit ; mais le régime constitutionnel a son caractère, ses traditions, ses règles. Il est fondé sur la liberté des élections, sur la liberté parlementaire, sur le droit des majorités. Il a justement le mérite de faciliter les changemens de direction sans que l’état en soit ébranlé, — et que devient-il lorsqu’on commence par déclarer qu’on ne changera rien, que, si le pays ne vote