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désire la paix, une paix honorable et de durée, et qu’elle n’est pas assez aveugle pour se flatter de l’obtenir sans donner des satisfactions à l’Europe et à ses sujets. Midhat-Pacha écrivait récemment : — « La seule paix que les Turcs aient repoussée est une paix fausse qui devait rendre la position politique et stratégique des Russes plus forte à l’égard de la Turquie et leur ouvrir dans un avenir plus ou moins prochain la route de Constantinople. » Il écrivait aussi : — « Les sentimens que j’exprime sont l’expression de cette opinion publique qui s’est formée et développée en Turquie sous l’empire des événemens. » Et il se portait garant que ses compatriotes désirent aujourd’hui sincèrement a pratiquer la liberté chez eux, fonder l’égalité politique et améliorer leur administration par des réformes sérieuses[1]. » Il y a en Turquie une opinion publique. Jusqu’à Mahmoud II, elle était représentée par un corps de prétoriens, et le régime ottoman était un despotisme tempéré par des janissaires. On voyait ces redoutables justiciers

…. sur leur sultan farouche
Veiller, le glaive nu, s’il croyait tout pouvoir,
S’il osait tout braver et dérober sa bouche
Au frein de l’antique devoir.


Les janissaires ont disparu ; ce sont aujourd’hui des softas qui se chargent dans l’occasion de rappeler au commandeur des croyans que tout ne lui est pas permis. Ce changement est heureux ; quels que puissent être ses préjugés, un softa qui a pris ses degrés raisonne mieux qu’un sabre.

Nous souhaitons que l’événement justifie les prévisions de Midhat-Pacha ; rien ne serait plus désirable et pour les raïas et pour l’équilibre européen. La question d’Orient est un problème très compliqué, et on n’en a pas encore trouvé de meilleure solution que le Turc. « Parmi les races qui sont en lutte en Orient, disait M. Thiers, la race turque est celle qui offre le plus de ressources, qui a le plus de caractère et qui se trouve être le moins haïe de toutes les autres ; aussi je ne crois pas que l’Europe la condamne impunément. » Le )Turc seul a de l’autorité comme le Magyar dans la Transleithanie, il se sent né pour le gouvernement, et il a la fierté de son état ; il n’a pas de peine à se tenir debout. On peut lui appliquer ce qu’un voyageur disait des Circassiens : « A la façon dont ils regardent les passans, ils ont l’air de leur dire ; Le monde nous appartient, mais je te permets d’y vivre. » tout n’est pas illusoire dans cette prétention. Vivant au milieu de races qui lui sont bien supérieures en ouverture et en souplesse d’esprit, le Turc leur impose sans effort sa suprématie, et il s’en fait respecter. Le

  1. Lettre au directeur-gérant du Journal des Débats, le 19 août 1871.