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prétendue molaire de Bouddha, qui semble être sinon une dent de crocodile, du moins un morceau d’ivoire taillé, long de 2 pouces, sur 1 pouce de diamètre. Chaque année, à la nouvelle lune de juin ou de juillet, ce précieux objet est exhibé en grande pompe dans une procession nommée la Perahara, que par une faveur exceptionnelle les prêtres consentirent à renouveler hors de saison. Le cortège fit même deux sorties : la première, en petit comité, dans les jardins du gouverneur ; la seconde, en présence d’une immense multitude, sous les fenêtres du pavillon octogonal, ou les anciens rois avaient coutume de présider la Perahara, Ce fut une de ces scènes fantastiques qu’on n’oublie plus. En tête venaient des joueurs de flûte et de tam-tam, puis une troupe de « danseurs, du diable, » hideusement masqués et travestis, qui exécutaient d’incroyables contorsions au son des cymbales avec une ardeur toute religieuse, Ils étaient suivis par une cinquantaine d’éléphans, marchant à la file, quelques-uns d’une taille gigantesque, tous richement caparaçonnés et portant des prêtres sur des baldaquins à colonnes d’or, Dans les intervalles marchaient des porteurs d’éventails, de bannières et d’ombrelles. Le défilé se terminait par la foule des chefs, s’avançant tour à tour avec leurs musiciens, leurs drapeaux et leurs hommes d’armes. Telle était l’affluence des spectateurs attirés par cette solennité que des milliers d’indigènes durent passer la nuit en plein air, sous une pluie torrentielle.

M. Russel raconte ainsi la visite que le prince fit ensuite à la Dent sacrée : « Le vihara ou petit sanctuaire, où l’on garde la dent, communique avec le temple par une porte et un escalier assez étroits ; la salle elle-même, tendue de draperies où se lisaient de curieuses devises, était imprégnée d’un parfum affadissant qui rendait l’atmosphère presque suffocante, Le caranda, coffret d’or en forme de cloche qui renferme la relique, se trouve placé sur une table d’argent. Ce reliquaire est tout étincelant d’émeraudes, de diamans et de perles d’un grand prix ; sur le croissant qui le termine, il porte même une pierre qu’on dit d’une énorme valeur. Le travail de la ciselure y est d’une finesse que seule la photographie pourrait reproduire… Un prêtre, ayant apporté les clés, fit jouer un ressort, et le coffret, s’entr’ouvrant, laissa voir à l’intérieur un second reliquaire d’or, enchâssé comme le précédent. Ouvert à son tour, ce second en laissa voir un troisième, et ainsi de suite, si je ne me trompe, jusqu’au cinquième, qui exhiba enfin la dent de Bouddha reposant sur une feuille de lotus en or. Nulle main ne peut toucher ce saint des saints. Il y avait dans la physionomie des prêtres une expression de vénération qu’ils n’auraient pu feindre. Le plus âgé, un vénérable vieillard en besicles, qui tremblait d’émotion, prit d’une main la feuille de lotus, et, de l’autre, ayant reçu d’un de ses collègues