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nous nous sommes lié les mains. En échange, Tu-Duc consent à nous abandonner les six provinces de la Basse-Cochinchine qu’il nous a forcés à conquérir, que nous possédons et qu’il aurait arrachées de nos mains s’il l’avait pu. Cette concession vraiment gracieuse est reconnue par le don de cinq bâtimens à vapeur tout armés, de cent pièces de canon avec un approvisionnement complet de munitions. Nous ajoutons à ces présens une quantité très considérable de fusils et nous lui faisons remise du reste de l’indemnité de guerre qu’il avait dû s’obliger à payer dans son premier traité de cession. En somme, il nous donne ce que nous détenons, ce qu’il est hors d’état de nous reprendre, ce qu’il nous avait déjà concédé, et nous rachetons par des présens et par la remise d’une dette ce qui nous appartenait déjà. Cette convention aurait toute l’apparence d’un marché de dupe si, d’un autre côté, le roi de Cochinchine n’avait fait valoir le mérite d’un second traité par lequel il a consenti à admettre, avec beaucoup de restrictions du reste, les navires de commerce dans ce fleuve du Tonkin qui conduit en Chine, le Song-koï. Or à l’époque où il a signé ce deuxième acte international, Tu-Duc était à peu près dépossédé du Tonkin ; les principales villes de ce pays étaient au pouvoir de nos soldats. A l’entrée de la rivière, dont son traité avait pour objet de nous permettre la navigation, notre drapeau était levé. Il nous a convenu de déplacer la question et de solliciter une concession dont nous avions la possibilité de nous passer : nous avons pris le rôle de solliciteur là où nous pouvions commander. Qu’importe qu’un officier trop fougueux eût dépassé ses instructions en s’emparant du pays sans ordres formels ! le fait est qu’il l’avait conquis avec une poignée d’hommes. Il avait payé de sa vie sa hardiesse. Était-ce le cas de le désavouer après sa mort ? .N’était-il pas plus habile et plus honorable pour nous de tirer parti de la situation qu’il nous avait laissée ? Les diplomates de la cour de Hué, plus fins et plus résolus, ont bien vu que la préoccupation dominante du gouvernement de la république était de tirer ; comme on dit, son épingle du jeu ; ils en ont profité avec adresse. En attendant, les mandarins ont déjà payé par une atroce persécution l’aide que M. Garnier avait reçue des chrétiens du Tonkin.

Aujourd’hui le traité est en pleine exécution, et l’on peut savoir comment il fonctionnera : à la manière et avec les procédés annamites. Les douanes établies sur le Fleuve-Rouge entravent la navigation, sur laquelle on prélève un impôt de surérogation au profit des employés, et il n’y a pas de difficultés que ne rencontrent les agens, même officiels, qui veulent remonter le fleuve et entrer en Chine. Au commencement de cette année, M. de Kergaradec, consul de France au Tonkin, a remonté le Fleuve-Rouge. Il a