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dans la nécessité de soutenir une retraite ou de se rendre. Défaits en bataille, ces Asiatiques enfouissent leur artillerie sous terre, puis ils se dispersent : il serait bien inutile de les attendre en travers d’une route ; ils se retirent dans l’intérieur isolément ou en petits groupes, se dérobant aux poursuites par les coulées de bêtes féroces ou de gibier sous les joncs. Cette dispersion, qui conservait une armée au roi de l’Annam, fut un malheur pour lui, car elle nous obligeait à prolonger notre occupation, à la consolider, et nous mettait sur les bras un territoire que nous n’avions pas eu le dessein d’acquérir définitivement.

L’armée annamite s’était ralliée dans le voisinage. Elle donnait la main à des révoltes et des brigandages fomentés autour de nous. Elle continuait à recevoir ses approvisionnemens, et pouvait bientôt se trouver en mesure de nous créer de nouveaux embarras. Évidemment le but de la campagne sur Saïgon était manqué. L’occupation de cette ville et même du territoire environnant n’était pas suffisante pour affamer l’ennemi. C’est de Saïgon sans doute que partaient auparavant les transports, chargés de grains, pour ravitailler la Haute-Cochinchine. L’interruption de cette navigation gênait certainement le gouvernement de Hué, mais pas au point d’abaisser l’orgueil des mandarins et de les amener à composition. A défaut de la rivière de Saïgon, les jonques suivaient le cours du Cambodge, et par les canaux intérieurs elles portaient leur chargement jusqu’à des villes situées vers les embouchures de ce fleuve et appartenant encore à Tu-Duc ; il y existait des magasins où le gouvernement annamite déposait ses approvisionnemens. Les principaux étaient dans la ville de Mytho. Le gouvernement de l’Annam y avait accumulé les obstacles et les défenses : estacades, barrages, forts, — élémens de défense barbares sans doute, mais assez embarrassans. Cette ville et d’autres dans le voisinage étaient devenues des foyers de piraterie qui terrifiaient les habitans paisibles de notre territoire. On résolut de détruire d’abord les dépôts et magasins de Mytho avec la pensée de tomber ensuite sur l’armée annamite reformée dans une autre province nommée Bien-hoa. Et voilà comment nous allions continuer notre occupation, l’agrandir ! Les incidens successifs nous entraînaient : la fortune nous dirigeait et nous mettait entre les mains des richesses que nous n’avions pas même pris la peine de convoiter. Est-il nécessaire de rappeler que la prise de Mytho et l’annexion de la province tout entière furent promptement accomplies ?

Après la chute de Mytho, on se tourna vers Bien-hoa, où l’armée annamite s’était réfugiée. Tant qu’elle y resta en observation, occupée à se refaire et sans devenir gênante, nous pûmes la dédaigner, et nous primes ce parti, car nous ne recherchions pas les