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par M. A. de Boislisle, une lettre du contrôleur-général Claude Le Peletier adressée en 1687 à M. de Gourgue, intendant à Caen, qui contient ce passage propre à faire apprécier la façon d’agir du gouvernement de Louis XIV. « Le roi a fait casser l’arrêt de la cour des aides qui convertissait la peine des galères prononcée contre un faux-saunier, et il a été ordonné que le condamné serait attaché à la chaîne et conduit à Marseille. Cependant, s’il est vrai que cet homme soit âgé de quatre-vingts ans et ait perdu la vue, il faut s’entendre avec le directeur des fermes et faire ce que l’on pourra pour l’exempter de la chaîne, mais sans qu’il conserve aucune possibilité de reprendre le faux-saunage ni que cela tire à conséquence. » Toutefois, quelque inhumaine que fût la peine des galères, l’autorité ne poussait pas la cruauté jusqu’à en infliger l’accablant et impitoyable labeur au malheureux qu’une infirmité naturelle mettait dans l’impossibilité de faire un service utile sur mer ; sa peine pouvait alors être commuée en celle du bannissement perpétuel, qui occupait une large place dans notre ancienne pénalité, et était assimilée à une peine capitale.

Les galères, comme toutes les peines de la même catégorie, entraînaient la mort civile et la confiscation des biens. Le caractère fiscal que conservait la pénalité de l’ancien régime, et dont j’ai déjà parlé, explique qu’on frappât fréquemment à la fois les biens et la vie pu la liberté du coupable. Une telle peine se retrouve sans doute dans l’antiquité, mais elle était surtout en France un reste du droit féodal. Les biens du criminel faisaient retour au seigneur justicier, regardé comme le propriétaire des biens de sa seigneurie dont ses vassaux, ses tenanciers n’étaient en réalité que les possesseurs à titre plus ou moins précaire. Le criminel perdait sa tenure par le fait même de sa condamnation. Non-seulement les crimes proprement dits, mais une foule de délits exposaient le sujet à la confiscation de son bien, de même qu’en cas de félonie envers son suzerain le baron perdait son fief. Par exemple, ainsi que nous l’apprend Boutillier, celui qui déplaçait une borne servant de limite perdait tous ses biens ; ils étaient confisqués au roi ou au seigneur haut justicier. Les coutumes variaient au reste beaucoup, quant à la confiscation des biens : les unes étaient très rigoureuses, les autres avaient apporté à cette peine de notables tempéramens. Dans la coutume de Paris, on appliquait cet axiome impitoyable : « Qui confisque le corps, confisque aussi le bien. » Dans les pays de droit écrit et diverses provinces du ressort du parlement de Toulouse, en Guienne, en Provence, par exemple, la confiscation des biens n’était prononcée que pour le crime de lèse-majesté. Au XVIIIe siècle, on se relâcha dans la pratique de la rigueur de la confiscation, et les biens furent souvent rendus à la famille du condamné.