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crime. Les jurisconsultes d’avant la révolution sont d’accord sur ce point. S’il y avait là une appréciation excessive, il faut cependant convenir que la mendicité, qui a toujours été un péril pour la sécurité publique, l’était surtout dans un temps où elle avait pris de vastes proportions. Je n’ai pas besoin de rappeler les truands du moyen âge, qui formaient de véritables corporations qu’on s’était vu forcé de confiner dans certains quartiers des villes. Il est encore question au XVIIe siècle de ces bandes de gueux dont quelques-unes sous Louis XIV s’avancèrent jusqu’aux portes de Versailles. On se débarrassa de ces vagabonds en les expédiant sur les galères ; on y envoya les bohémiens qui avaient envahi plusieurs de nos provinces, tandis que l’on se saisissait de leurs femmes, que l’on faisait raser et fouetter et qu’on expulsait ensuite du royaume. On condamna aux galères des coupables de toute autre catégorie à l’aide du principe de l’arbitraire des peines, des déserteurs, des concussionnaires, des faussaires ; on y mit des condamnés à mort dont la peine avait été commuée. Fait odieux, sous Louis XIV, d’infortunés protestans qui se refusaient à abjurer leur foi, des auteurs et des imprimeurs de libelles contre le gouvernement ou les princes, furent envoyés à la chaîne en compagnie des malfaiteurs.

La latitude laissée aux juges permit de multiplier les condamnations aux galères quand le grand roi eut besoin de galériens ; ses ministres se plaignaient qu’on ne prononçât pas un nombre suffisant de ces condamnations, parce qu’il fallait augmenter la flotte et former de plus nombreux équipages. À certains momens, on en recruta partout ; on envoya aux galères ceux qui s’étaient montrés les plus mutins dans quelque sédition, les contrebandiers et surtout les faux-sauniers, que le régime tyrannique de la gabelle avait singulièrement multipliés. Ainsi en 1662, une émeute ayant éclaté dans quelques villages des environs de Boulogne-sur-mer, 400 paysans, faux-sauniers pour la plupart, furent condamnés aux galères. « Ils sont en très mauvais état, écrivait à Colbert l’entrepreneur chargé de leur transport, car ils sont tout nus et la plupart malades ; il en meurt tous les jours. » Le zèle des magistrats alla si loin pour recruter les bagnes qu’ils prescrivirent parfois la peine des galères sommairement et sans jugement. Les intendans pesaient sur les présidiaux, qu’ils accusaient d’être trop indulgens envers les coupables quand ces tribunaux ne prononçaient pas la mort ou les galères contre ceux qui avaient résisté aux agens du fisc, des fermes de l’état ; ils proposèrent même quelquefois défaire casser les jugemens, de rendre les juges responsables de leur indulgence, en les déclarant tenus des dommages et intérêts des parties ou en leur imposant une sorte d’amende. Je trouve dans la Correspondance des contrôleurs-généraux avec les intendans des provinces, publiée